Page:La question du Congo devant l'Institut de droit international, par Gustave Moynier.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 12 —

immense qu’il arrose. Ce fleuve, » dit-il, « est et sera toujours la grande route commerciale de l’Afrique centrale de l’Ouest[1]. » Avoir la faculté d’y naviguer constituera donc un intérêt majeur pour les États civilisés ou les colonies qui se fonderont indubitablement dans l’Afrique équatoriale, car il sera leur principal et peut-être leur seul débouché vers la mer. L’heure présente, d’autre part, est propice pour agir dans ce sens, puisque la liberté désirable existe maintenant au Congo, en tant qu’elle dépend des blancs, et que, pour l’y faire régner, il n’y a par conséquent aucun sacrifice à réclamer d’eux. Les nègres y consentiraient moins facilement. Chacune de leurs tribus interdit aux autres de trafiquer sur ses eaux[2], et s’opposerait par conséquent au commerce des Européens s’ils voulaient forcer le passage ; mais, pour commencer, cela importerait peu. La chose capitale serait qu’un accord s’établît premièrement entre les races civilisées, lesquelles s’entendraient ensuite pour amener les indigènes à composition.

Un traité international aurait donc moins à créer la liberté de navigation qu’à en garantir la perpétuité et l’extension ; mais il serait sage de se hâter, pour profiter de circonstances aussi heureuses qu’éphémères. Qui sait si quelqu’un des riverains d’aujourd’hui, s’attribuant un monopole sur la partie du fleuve qu’il détient, ne créera pas ainsi un obstacle à la consécration internationale du régime actuel ? On peut voir au Zambèze, par exemple, le Portugal percevoir des droits sur les navires et les marchandises.

Ici je dois faire remarquer que, pris à la lettre, le texte de 1815 ne serait pas applicable à toute l’étendue du Congo. Il y est dit, en effet, que la liberté de navigation doit régner seulement « du point où chaque rivière devient navigable, jusqu’à son embouchure » (art. 109). Or, d’après cela, il semblerait que le Bas-Congo, en aval des chutes de Yellala, fût seul dans les conditions voulues, tandis que le Congo moyen, situé en amont de cataractes infranchissables, dût être considéré comme une sorte de mer intérieure[3] ne relevant juridiquement que des États limitrophes. Je n’estime pas cependant que cette conclusion soit fondée, et j’en vois la preuve dans la manière dont on a interprété les traités quant au Danube. Là aussi, aux Portes de Fer, il y a des rapides et des écueils que font obstacle à la navigation, et l’interceptent même

  1. Lettre du 5 septembre 1877, p. 217.
  2. Stevenson : The water highways of the interior of Africa, p. 19.
  3. Rapport de Brazza (Revue maritime et coloniale, août 1883, p. 406).