Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
fin de roman

essayer de prier, ses lèvres seulement murmuraient des mots qui ne venaient ni de son esprit ni de son cœur. Jamais elle n’eut l’idée de mourir, d’en finir avec l’existence, mais elle souffrait, elle était malheureuse au delà de toute expression. Elle était comme un naufragé qui se débat la nuit en mer sans que personne se porte à son secours.

Les jours s’écoulaient, mais l’infortunée ne pouvait se ressaisir, se rattacher à rien. Elle avait tout perdu, tout perdu par sa faute. Lorsqu’on vieillit, qu’on a toujours été heureux auparavant et que le malheur nous frappe, il est doublement difficile à supporter. Comme elle le lui avait formellement interdit, Paul Amiens ne faisait rien pour la revoir. Parfois, au milieu de son désespoir, elle se laissait aller à penser un moment à lui. Peu à peu, elle vint à regretter de ne plus jamais le voir. Dans le passé, il avait toujours partagé ses joies ; aux jours sombres, il aurait été bon de s’appuyer sur lui pour ne pas succomber sous le poids de cette accablante affliction. Le sommeil la fuyait maintenant ; elle ne pouvait trouver le repos. Jour et nuit, elle songeait à la perte irréparable qu’elle avait faite et elle se rendait compte que ses souffrances ne prendraient fin qu’avec sa vie.

Il vint un jour où elle se trouva incapable de porter seule plus longtemps le fardeau de sa peine. À cette heure, elle avait touché le fond de sa misère et de sa détresse. Si cela continuait plus longtemps, elle deviendrait folle. Alors, réalisant soudain l’inanité de son expiation, elle eut l’irrésistible besoin de revoir son ami de tant de belles années, de lui avouer qu’elle avait agi comme elle l’avait fait dans un moment de démence et qu’elle voulait maintenant essayer de revivre sa vie d’autrefois. Sous l’empire de cette impulsion, fébrilement elle s’habilla, sortit, et se dirigea en