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fin de roman

que prévu depuis quelque temps, affecta douloureusement M. Frigon. Désormais, il se trouvait seul avec sa femme, elle-même tuberculeuse.

Si le vent faisait tomber une branche morte sur le sol, M. Frigon la ramassait et la sciait pour son poêle, mais de lui-même, jamais il n’aurait coupé ni enlevé le plus petit rameau. Les arbres poussaient où ils voulaient et comme ils voulaient. Il n’intervenait pas. La nature était libre de suivre son cours.

Alors qu’il avait acheté l’emplacement sur lequel il avait fait construire sa maison, il existait sur cette pièce de terre une vieille habitation en bois plus que centenaire. Au lieu de la démolir, de la faire disparaître pour rendre sa propriété plus propre, M. Frigon qui, pourtant, n’en avait nullement besoin, l’avait restaurée et chaque été, il y faisait quelque réparation. Une année, il lui posait un nouveau toit afin de remplacer l’ancien qui était crevé ; une autre, c’était le solage qu’il refaisait à neuf, plus tard, c’était une nouvelle cheminée qu’il construisait. Presque chaque été, il exécutait des travaux importants. À travers les branches des saules entourant la propriété, les voisins le voyaient un dimanche matin dresser son échelle à côté de la vieille maison et, en salopettes brunes et en chemise négligée, monter sur le toit pour remplacer la cheminée. Lentement, posément, il plaçait ses briques, les reliait avec le mortier qu’il avait préparé et, pendant que la population assistait aux offices religieux à l’église, M. Frigon, lui, érigeait une nouvelle cheminée sur sa vieille maison. Apparemment, il connaissait tous les métiers. Chez lui, il était charpentier, maçon, briqueteur. Et cette vieille demeure, il la louait une piastre par année à un peintre infirme, un manchot, âgé de près de soixante ans qui vivait là seul. C’était un caprice de