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IMAGES DE LA VIE

qu’il l’avait promis, Ephrem Rouillard rasa son ami cette nuit-là avant qu’on le mît dans son cercueil. Et c’était Hector Lafrance, frère de Firmin, jeune garçon de seize ans qui tenait la lampe pendant que l’autre accomplissait sa funèbre besogne. Il savait que Martial s’était empoisonné et de voir ce mort au masque tourmenté, cette figure avec une barbe de huit jours, il était tout secoué de frayeur et la main qui tenait la lanterne tremblait constamment.

— Échappe-la pas ! Échappe-la pas ! recommandait à tout moment le barbier d’occasion.

La besogne fut enfin terminée.

Et le jour des funérailles, la grosse blonde revint à sa campagne avec un troisième petit.

Martial était enterré depuis un mois, lorsque ses copains se réunirent un soir à leur auberge.

— Ben, faut pas oublier Martial, fit le fidèle Rouillard. Si le coeur vous en dit, on va aller vider quelques bouteilles de bière près de sa tombe.

— Je seconde la motion, annonça Firmin Lafrance.

Alors, les garçons mirent deux caisses de bière dans une auto et prirent la route du cimetière. La nuit était sombre et les passants plutôt rares. Portant leurs boîtes remplies de bouteilles, les camarades du défunt se glissèrent furtivement à travers les monuments funéraires et arrivèrent à la tombe dans laquelle dormait leur ami.

— Bonsoir, Martial ! Ce sont tes copains qui viennent te rendre visite, firent-ils à mi voix.

Et déposant les caisses sur la terre fraîchement remuée, ils s’assirent en cercle.

— Ben, mon vieux Martial, nous sommes de vrais amis ; nous sommes fidèles à la promesse que nous t’avons faite, déclara Ephrem Rouillard, en s’adressant au mort, sous terre.

Alors, Firmin Lafrance qui agissait comme échanson, remplit de bière les verres de ses camarades. Cela se passait comme à l’auberge où tant de soirées ils avaient fêté ensemble. Aucune impression de tristesse. Simplement, le verre en main, l’on fraternisait en pensant à un compagnon disparu. Le pacte de l’amitié. Avec un peu de bonne volonté, les cinq