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LE DESTIN DES HOMMES

— Je ne suis plus une enfant qu’on berce avec des histoires fantaisistes, répondit Mme Lafleur.

À quelque temps de là, rentrant chez lui à l’heure du souper, M. Lafleur appela sa fille.

— Elle est à écrire une lettre, fit sa femme. Que lui veux-tu ?

— Oh ! simplement lui demander de poser à mon veston un bouton qui vient de s’arracher.

— Donne, je vais le recoudre.

M. Lafleur enleva son habit qu’il remit à sa femme avec le bouton. Puis il s’assit près de la table, déploya son journal et se mit à lire. Mme Lafleur s’installa dans un fauteuil, tourna le vêtement sur ses genoux pour travailler à son aise. Dans ce mouvement, des papiers sortant de la poche intérieure glissèrent au plancher. Elle les ramassa et allait les remettre dans le veston lorsqu’elle remarqua sur une lettre le nom et l’adresse d’un tailleur. Cela l’intrigua un peu vu que son mari n’avait pas acheté de vêtements dans ces derniers temps. Par curiosité elle sortit la lettre de l’enveloppe. C’était une facture acquittée pour un manteau de dame. Prix : $40. Mme Lafleur resta un moment suffoquée, indignée.

— Tiens, fit-elle en tendant l’habit et le bouton à son mari. Tu demanderas à la dame qui a reçu le manteau de te poser ce bouton.

M. Lafleur restait stupéfait.

— Je vais t’expliquer, fit-il, un peu remis de sa surprise. Ce n’est pas ce que tu penses. Brisebois m’a demandé de lui acheter un complet. Je lui ai dit d’aller voir ce tailleur, mais au lieu de se faire confectionner un habit il a fait faire un manteau à sa blonde. J’avais déclaré au tailleur que je paierais et j’ai payé, mais je retiendrai cette somme sur sa part des recettes lors de son prochain match.