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LE DESTIN DES HOMMES

de le démolir et il voyait tous ces gens autour de lui, toutes ces figures angoissées, tous ces yeux qui le regardaient, mais personne ne faisait un mouvement pour lui venir en aide. Il recevait les coups…

Devant un pareil revirement, la multitude était devenue muette. C’était un moment tragique. Un furieux moulinet atteignit Brisebois à la mâchoire et il alla frapper le plancher avec force. Il resta là sans bouger pendant que l’arbitre comptait les dix secondes réglementaires. Le match était fini. Le grand corps du colosse sur lequel on avait fondé tant d’espoirs était étendu immobile sur le dos en travers de l’arène. Le mineur Brisebois était hors de combat.

Dans la foule, c’était une stupeur, un désappointement sans nom. Comme les spectateurs quittaient lentement la salle, l’on entendait un concert d’invectives et d’injures à l’adresse du vaincu : « Grande vache ! Pourri ! Peureux ! C’est pas un boxeur, c’est un mouton ! C’est pas la force, c’est le cœur qui lui manque ! Il a de bien gros poings, mais il doit avoir le cœur d’un poulet. » Mais il ne les entendait pas ; il était sans connaissance.

La défaite de son protégé jeta M. Lafleur dans un abattement profond. Ses affaires négligées depuis quelque temps prirent une tournure pour le pire et il fit faillite. Accablé de reproches par sa famille, il eut une crise de dépression nerveuse et la tête lui déménagea. On dut alors l’interner dans un asile d’aliénés où il mourut au bout de peu de temps.

Le dénouement du combat laissa le journaliste Biron tellement déçu et abruti qu’il se jeta à la boisson avec le résultat qu’il a perdu son emploi et qu’il vit maintenant d’expédients.