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LE DESTIN DES HOMMES

cueil et on l’a descendu dans ce trou qui était comme un puits. Les fossoyeurs se hâtaient et les pelletées de terre faisaient rejaillir l’eau de tous côtés. Je n’ai jamais rien vu de si triste que l’enterrement du vieil Isidore et je m’en souviendrai jusqu’à mon dernier jour. Mais que voulez-vous, quand on est mort que l’on vous enfouisse dans six pieds d’eau ou six pieds de terre, ça ne fait aucune différence, hein ?

Sûrement que le vieux Quarante-Sous s’attendait à apprendre d’autres nouvelles que celles-là avant de commencer sa tournée au pays de son enfance et de sa jeunesse. Non, il n’y avait là rien pour réjouir le cœur. Bien certain cependant qu’il trouverait ailleurs de plus réconfortantes histoires. Il allait donc sur la route du Souvenir. Il marcha longtemps. Assis sur le perron d’une grosse maison en brique, à comble français, un petit vieux paraissait abîmé dans une morne songerie. Le passant s’approcha.

— Bonjour, monsieur Tancrède Laurin.

— Bonjour. Qu’est-ce que vous voulez ?

— Ce que j’veux, j’vas vous le dire. J’ai laissé la paroisse il y a plus de trente ans et je voudrais la revoir ainsi que les habitants que j’ai connus et ça me fait plaisir de vous voir vivant. Mon nom est Gédéon Quarante-Sous.

— Oui, oui, je me rappelle de toé. Tu es le garçon de Clovis Quarante-Sous. Tiens, l’année que tu as vendu ta terre, je m’étais cassé une jambe en allant chercher du bois pour bâtir une grange.

— Juste, je me rappelle de ça. Et cette année-là, on vous avait nommé marguillier.

— C’est ça et c’est cet hiver-là que Siméon, le plus vieux de mes garçons, a été reçu prêtre. C’est curieux, hein ? Je me rappelle mieux ce qui s’est passé dans ce temps