Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
LE DESTIN DES HOMMES

du bureau depuis quelques années, devinrent à leur tour les associés de Massé. Avec les deux garçons, toutefois, ce n’était pas la même chose qu’auparavant. Ils étaient jeunes et leurs idées différaient de celles du partenaire de leur père. Massé, qui au cours des ans, avait amassé de considérables économies, décida alors de se retirer des affaires, laissant les deux fils du défunt conduire l’entreprise fondée par leur grand-père.

Massé était maintenant libre de toute occupation. Il pouvait faire de ses jours l’emploi qu’il voulait, mais habitué à une vie active, le temps lui paraissait long, bien lent à passer et ses journées étaient vides. Il avait été malheureux pendant tant d’années à la maison, qu’il était maintenant inapte à goûter le calme et la paix. Évidemment, il n’avait plus d’ennuis, mais il les avait éprouvés pendant si longtemps qu’ils étaient devenus une espèce d’habitude et, sans s’en rendre clairement compte, il trouvait que sa vie était trop changée. Puis, il se sentait comme perdu dans la foule de ceux qui bataillent pour gagner le pain quotidien. Le matin après son déjeuner au restaurant, il rentrait chez lui, lisait son journal, mais rien ne le passionnait, ne l’intéressait. Après son souper, toujours au restaurant il parcourait les journaux du soir qui ressemblait fort à ceux du matin. Telle était sa vie. Et jamais de nouvelles de son fils.

Le veuf se sentait extrêmement las ; il était vieilli avant l’âge, affreusement vieilli. Comme en rêve, il songeait à Isobel Brophy, se demandant si elle vivait encore ou si elle était morte. Et il se reprochait toujours l’erreur qu’il avait commise en épousant sans la connaître la jeune fille qui était devenue sa femme et qui avait gâté sa vie. Comme tant d’autres jeunes gens, se disait-il comme pour s’excuser, il avait été pris par le piège de la chair ; l’instinct