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LE DESTIN DES HOMMES

La jeune veuve prenait du bon temps.

À son retour, elle alla s’installer à Lavoie, dans la vieille maison laissée par sa mère. Pendant les mois d’été, elle se laissa vivre, travaillant un peu dans le jardin potager et flânant pendant des heures, assise à l’ombre d’un peuplier argenté.

Mme Rendon fit bientôt connaissance avec la famille du maire Dorion, le plus important personnage du petit village. Mme Dorion grande et forte personne était une femme charmante, obligeante, d’humeur gaie, en un mot une voisine bien aimable. Le maire, M. Dorion, était un homme d’affaires. Il ne parlait que d’affaires, faisait des affaires et ne s’intéressait qu’aux affaires. Une grande partie du terrain sur lequel était bâti le village lui avait autrefois appartenu. Il avait vendu bien des lots, mais avec un constitut, et chaque année, il retirait de l’acheteur une petite somme, comme une espèce de rente seigneuriale. M. et Mme Dorion habitaient une belle grande et confortable maison en brique, à gauche de la Coopérative. Ils avaient quatre enfants, trois garçons et une fille. Parfois, la mairesse invitait Mme Rendon à dîner en famille le dimanche midi. L’intimité s’établissait entre les deux femmes.

Les voyages, les toilettes, les menues dépenses avaient fort entamé les cinq mille piastres d’assurances léguées par le mari. De toute nécessité, la veuve devait maintenant travailler pour gagner sa vie. Comme elle possédait de réelles capacités, elle se trouva rapidement un emploi, puis un autre, car elle en changeait souvent. Tour à tour, elle fut vendeuse, caissière, comptable, assistant-gérant, assistant-trésorier, dans des magasins à rayons, des magasins de musique, des imprimeries ; elle travailla dans une banque, chez des courtiers et dans différents établissements commerciaux ou industriels. Pendant vingt ans, elle changea de