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LE DESTIN DES HOMMES

— Je ne sais pas, mais dans tous les cas, elle va trouver ça différent ici.

C’est ainsi qu’on jasait entre femmes à Lavoie.

À son arrivée à Lavoie, la veuve Rendon fut prise d’une crise de dévotion. Elle qui, à la ville, n’allait pas même à l’église le dimanche, si ce n’est pour aller entendre un grand prédicateur à Notre-Dame, pendant le carême, se mit à assister chaque matin à la messe basse dans son petit village. Évidemment, ce n’était pas le pur amour de Dieu qui la poussait là. Comme des centaines de millions de pauvres gens, dans le vaste monde, elle allait s’agenouiller en solliciteuse pour demander des faveurs. Et comme tant d’autres, au lieu de s’adresser directement au Tout Puissant, elle préférait faire passer sa requête par l’intermédiaire d’un saint qui lui en imposait moins et auquel elle parlait avec plus de confiance d’être entendue et exaucée. La marchande, elle, faisait passer ses suppliques par l’entremise du Frère André. Avec ferveur, elle lui demandait d’assurer le succès de son commerce, la chance de faire des affaires afin de réussir à manger chaque jour et à se chauffer. Chaque matin, elle se levait à six heures et demie, s’habillait et se rendait à l’église à quelques minutes de chez elle. En entrant dans le temple, elle se sentait déjà toute réconfortée. D’autres fidèles arrivaient à leur tour : deux jeunes filles qui voulaient trouver un mari, une femme qui allait intercéder la Vierge pour qu’elle lui obtienne la guérison de son mari ivrogne et brutal, des vieux et des vieilles qui égrenaient machinalement leur chapelet mais se rendaient compte qu’ils accomplissaient un acte de piété agréable à Dieu. La cérémonie terminée, le petit groupe sortait lentement du temple et retournait à ses occupations quotidiennes, avec la certitude d’avoir bien commencé sa journée.