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LE DESTIN DES HOMMES

De retour chez elle la veuve Rendon déjeunait d’un bout de pain et d’une tasse de thé et, si c’était l’été, elle sortait et allait travailler dans son jardin ou, si c’était l’hiver, elle attendait patiemment les clientes en méditant sur les vicissitudes de la vie.

Depuis le temps éloigné où elle avait fait ses premières apparitions à Lavoie, la veuve Rendon avait perdu beaucoup de son ancien prestige.

Autrefois, c’était une grosse dame, une femme avec une automobile, de belles toilettes et elle était l’amie de madame la mairesse. Maintenant, elle ne portait que des vieilles robes, elle n’était qu’une petite marchande qui s’efforçait d’arracher sa vie et de gagner sa pitance et quand, dans le petit village on parlait d’elle, on ne la désignait jamais autrement que sous le nom de la veuve Rendon. C’était la revanche des petites gens sur l’élégante Mme Rendon.

Lorsqu’elle se rend à l’église le matin pour entendre la messe, la veuve Rendon est presque toujours dépassée par les deux jeunes Huneau, dix et onze ans, fils de Mme Prospère Huneau. Ils habitent la dernière maison de la rue et, comme ils ne veulent pas arriver en retard, ils se hâtent et courent par moments. Un vendredi, la marchande et les deux garçonnets sortent en même temps du temple, l’office fini.

— Vous êtes de bons petits garçons, vous autres, leur déclare la veuve avec un bienveillant sourire. Vous ne manquez jamais la messe.

— C’est notre mère qui nous envoie, répond le plus vieux des deux frères.

— Bien, vous avez une bonne mère. Et quelle faveur demandez-vous au Bon Dieu, lorsque vous venez à l’église ? La grâce de faire une bonne première communion ?