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LE DESTIN DES HOMMES

Le vendredi soir, des groupes de touristes arrivent à pleines voitures pour la fin de semaine. Ils apportent leur radio, installent un haut-parleur dehors et font jouer l’appareil pour tout le monde jusqu’à minuit. « De vrais sauvages ! » s’exclame la marchande avec amertume. « Ils appellent ça de la civilisation ! Et le pire, la chose déplorable, c’est que ces visiteurs si bruyants sont des éducateurs de la jeunesse, des directeurs d’écoles et des professeurs ».


Le deuxième voisin de la veuve Rendon est un curieux personnage. C’est un ancien navigateur qui est échoué à Lavoie par on ne sait quel hasard. Son nom est François Cochelette. Il demeure avec sa fille qui est veuve. Par les beaux jours d’été, après son dîner, il s’installe dans une vieille berceuse sur sa véranda et fait un somme d’une demi-heure. Une fois réveillé, il entre un moment dans sa maison et réapparaît avec son violon. De nouveau il s’assoit dans sa chaise et se met à jouer. Lorsqu’il a terminé le morceau, il fait une légère pause et le recommence. Il le recommence trois fois, quatre fois, six fois, huit fois. Et il recommence le lendemain, le surlendemain et les jours suivants. M. Cochelette ne connaît qu’un morceau mais il ne se lasse jamais de le jouer. Les voisins sont ennuyés, agacés au possible, mais ils ne peuvent rien contre le vieux maniaque.


Des villageoises entraient au magasin de la veuve Rendon et se racontaient une histoire en riant et en se moquant.

À Lavoie il y avait bien six ou sept familles Boisselle, vaguement parentes, et, parmi les garçons, il y en avait quatre qui portaient le prénom d’Arthur. Or, l’un de ces jeunes gens fréquentait depuis six mois Ernestine Boisvert