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LE DESTIN DES HOMMES

bonbons et qui sortaient en se chamaillant pour le partage. La marmaille partie, elle se replongeait dans ses projets. D’abord, avant d’accepter de devenir la femme du fermier, elle se ferait avantager d’une somme fixe ou d’une rente viagère, advenant le décès de son mari. Débarrassée de toute inquiétude quant à l’avenir, elle pourrait ensuite vivre en paix.

Latour, lui, lorsqu’il arrêtait un moment au petit magasin regardait la figure de la veuve et il la trouvait bien plaisante, bien de son goût. Et un soir, très simplement, il lui demanda de devenir sa femme.

— Avec plaisir, mon ami, répondit-elle.

Là-dessus, il l’embrassa, mais elle le trouva bien maladroit et ignorant des femmes.

Ils se marièrent et se mirent en ménage. De bonne foi, ils s’imaginaient qu’ils seraient très heureux. Oui, c’est généralement ainsi. L’on se rencontre, l’on trouve du charme dans la figure l’un de l’autre, l’on suppose chez l’être aimé une foule de qualités qu’on voudrait lui voir posséder, qu’on croit fermement qu’il a, et l’on s’imagine que la vie sera bien agréable. Il faut cela pour que la race humaine se perpétue.

L’on a hâte de manger à la même table, de dormir dans le même lit, de se voir chaque jour. Et, sans se connaître réellement, l’on se marie, l’on se lie par des liens qu’il sera impossible de briser. Oui, l’on est marié. L’on croit avoir arrangé sa vie pour le mieux. Auparavant, l’on n’était pas satisfait, l’on n’était pas heureux car on désirait tant de choses qu’on n’avait pas, mais tout de même, l’on n’était pas malheureux, tandis que maintenant…

Maintenant, l’on se connaît, l’on se connaît davantage chaque jour. Rien de ce qu’on espérait, on ne l’a trouvé chez son partenaire, mais au contraire, on découvre cons-