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LE DESTIN DES HOMMES

tamment chez lui de nouvelles imperfections, de nouveaux défauts qui nous deviennent de plus en plus insupportables.

L’on devient complètement étrangers quand on ne devient pas ennemis. Ils en étaient arrivés là. Ils n’avaient plus aucun intérêt l’un dans l’autre. Ils vivaient côte à côte, mais rien ne les attachait l’un à l’autre.

Au lieu de s’entr’aider à supporter les misères et les épreuves de l’existence, l’on tire chacun de son côté, l’on porte seul l’écrasant fardeau.

Ils n’étaient pas ensemble depuis un mois qu’ils avaient perdu bien des illusions. Elle était bien déçue ; lui aussi. Ni mentalement ni physiquement, ils n’étaient faits l’un pour l’autre. Parfois, devant la froideur de son mari, l’ancienne veuve Leclaire se demandait : Mais pourquoi s’est-il marié, celui-là ? Qu’avait-il besoin d’une femme ? Et alors, elle songeait à son premier mari, un homme affectueux, franchement amoureux, qui savait apprécier sa compagne. Sincèrement, elle regrettait son défunt. Peu à peu, elle en venait à comprendre, à reconnaître que Latour s’était marié pour avoir quelqu’un pour cuire sa soupe, pour laver et raccommoder son linge, pour traire sa vache, pour soigner les poules et recueillir les œufs, pour cultiver le jardin. Non jamais elle aurait cru que telle serait sa vie un jour. Ah ! ce qu’on peut s’en faire accroire à soi-même. C’est incroyable. Il va sans dire que l’automobile dont elle avait rêvé avant son mariage, Latour ne l’avait jamais achetée et quant à toutes ces visites qu’elle se proposait de faire, elles se bornaient à aller à l’église le dimanche. Et toutes ces boîtes de conserves qui devaient remplir sa cave, elle devait se contenter de les voir sur les tablettes de l’épicerie lorsqu’elle y mettait les pieds par hasard. Les légumes, si elle en voulait, elle devait les cul-