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LE DESTIN DES HOMMES

En l’entendant parler ainsi, il la regardait d’un air de pitié méprisante et ne répondait rien.

Avec cela, il courait après les procès, les invitait pour ainsi dire et invariablement, les perdait. Depuis l’époque de son mariage, il en avait perdu neuf. Aussi, il n’avait pas une haute opinion des juges ni de personne d’ailleurs. Lorsqu’on vieillit, l’on devient aigri, pessimiste, et l’on acquiert une triste idée de l’humanité. C’était son cas, mais toutes ces chicanes ne l’enrichissaient pas. Il devenait de plus en plus pauvre. Lorsqu’il avait payé ses aides, ses taxes, il ne lui restait rien du produit de sa terre ou, s’il avait quelques piastres, il les engloutissait toujours dans quelque marché qui ne lui rapportait que des ennuis, des tracas, des pertes d’argent ou un procès. Sa consolation, c’était ses chiens. Des amis fidèles, dévoués. Bien mieux que des hommes. Ils l’accompagnaient au champ, dans ses courses. Avec eux, il goûtait la petite somme de contentement qu’il pouvait attendre de la vie. Mais les trois chiens n’étaient pas toujours au dehors. À l’heure des repas et la journée finie, ils entraient dans la maison, allaient et venaient dans la cuisine, s’étendaient ici et là, se relevaient, allant se coucher ailleurs. Un embarras innommable. Et toujours affamés.

Des jours d’été, assis devant sa porte, ou l’hiver, dans sa maison, à côté de la fenêtre, l’homme songeait et se disait que l’attachement d’un chien fidèle est l’une des plus belles choses de la vie et qu’elle vaut mieux que toutes les prétendues amitiés, si souvent mensongères. Et doucement, il caressait la tête de Capitaine couché près de lui.

De son côté, l’ancienne veuve Leclaire, plongée dans des rêveries et des réflexions s’arrêtait un moment de penser et, se parlant à elle-même se demandait amèrement :