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LE DESTIN DES HOMMES

venu me voir pour acheter ma lieuse. Il m’en a offert $150. Brazeau me l’a vendue il y a quarante ans, je l’ai payée $125. Je m’en suis servi pendant plus de vingt ans et si je voulais, je pourrais faire un joli profit en la revendant. Tu comprends, ajourd’hui on ne peut se procurer d’instruments aratoires. On n’en fabrique plus.

— Comment, tu ne l’as pas vendue ? s’exclama Amanda.

— Je ne l’ai pas vendue. Elle va rester là, répondit simplement Latour.

— Mais ça fait vingt ans que tu ne t’en sers pas et tu ne t’en serviras jamais, répliqua la femme au comble de la stupéfaction. Qu’est-ce que tu veux en faire ?

— Rien, mais lorsque je vais au champ et que je la vois sous la remise, ça me fait plaisir.

— Écoute-donc, Cyrille, c’est pas le portrait de ton père ni le jonc de mariage de ta mère. C’est une vieille ferraille.

— Oui, mais ça me fait plaisir de la voir.

— Je vais te dire une chose. Ce que tu fais n’a pas le sens commun.

Dis-moi, si tu trouvais sur la route un portefeuille avec $150 tu ne le ramasserais pas ? Tu ne crois pas que ce serait une bonne chose de mettre $150 dans ta poche ?

— Si je trouvais un portefeuille avec $150 je le ramasserais et je tâcherais de retracer son propriétaire pour le lui remettre.

La femme poussa un profond soupir qui en disait long.

Amanda était infiniment malheureuse. Toujours voir ces chiens dans sa cuisine le matin, le midi et toute la soirée était un supplice sans nom. Faudrait-il qu’elle passe toute sa vie à les endurer ? Ah ! si elle avait su ce que