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LE DESTIN DES HOMMES

L’hiver fini, les citadins recommencèrent à arriver. Amanda se démenait du matin au soir. Mais ce n’était pas tant le travail, si dur fût-il, qui lui était pénible. Non ce qui l’agaçait le plus c’était les deux chiens qui, l’hiver avaient passé la plus grande partie des journées couchés près du poêle, sous la table, ou étendus près de la chaise de leur maître et qui, l’été, alors qu’elle préparait les repas des pensionnaires et qu’elle était affairée au possible, se trouvaient sans cesse devant ses pas. Embarrassants, encombrants comme on ne saurait dire, et qui mangeaient, qui mangeaient…

— On dirait que tu crois que ça ne coûte rien de les nourrir ces bêtes, remarquait parfois la femme avec aigreur. Je travaille dur pour faire manger ces chiens-là.

Lui la laissait dire, mais leur jetait un os avec beaucoup de viande autour.

La femme rageait. Elle monologuait : « C’est moi qui gagne l’argent avec lequel il les bourre. Nourrir deux gros chiens dont nous n’avons aucun besoin, est-ce que ça a du bon sens ? Puis toujours les avoir dans ma cuisine, toujours risquer de buter sur ces sales bêtes c’est assez pour me rendre folle. Il faut que j’en fasse disparaître un. »

Le moyen ? Le poison. Alors, lentement elle mûrit son projet. À cette pensée, elle goûtait une espèce de volupté. Mais il fallait se procurer la drogue. Soudain un jour, elle pensa à un vétérinaire qui avait pensionné chez elle pendant quelques semaines alors que sa femme était à l’hôpital. Un après-midi que son mari était parti pour une affaire qui le retiendrait quelques heures, elle se décida et se rendit chez le vétérinaire. Justement, il était dans son bureau. Après avoir causé un moment, elle dit soudain :

— Je voudrais un bon poison.

L’homme la regarda.