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LE DESTIN DES HOMMES

— Une piastre pour essayer et cinq piastres à gagner, répétait la grande femme.

— Quand on n’est pas fort, c’est plus facile de faire quelques cennes à côté, faisait Urgel d’un ton moqueur en indiquant la roue de fortune qui fonctionnait à quelques pas plus loin.

Alors, piqué au vif, un rude gars se décidait, donnait un billet d’une piastre à Mme  Breton et saisissait la barre. Rendu à la hauteur de la poitrine, il ne pouvait aller plus loin et la laissait retomber sur le sol.

— C’est lourd, reconnaissait-il.

Un autre garçon s’amenait et tentait l’épreuve à son tour, mais sans succès.

Puis, c’était de nouveau au tour d’Urgel de prendre son haltère et, d’un élan, de le mettre au-dessus de sa tête.

— Il n’y a pas à dire, il est fort, déclarait un jeune colosse.

Urgel était flatté au possible d’entendre vanter sa force. Alors, il bombait le torse et ajustait sa tunique de peau de léopard. Oui, avec ses hautes bottines dorées et sa peau de léopard sur sa chair nue, il était plus glorieux qu’un archevêque montant à l’autel en vêtement sacerdotaux ou un empereur en manteau d’or sur son trône. Sa peau de léopard il ne l’aurait pas échangée pour la couronne du roi d’Angleterre. Devant la foule admiratrice des campagnards, il étalait ses muscles, faisait montre de sa force et se considérait comme un être supérieur, un surhomme.

Pendant quatre jours, il répéta son tour de force et empocha des écus aux Trois-Rivières. Ensuite, il se rendit à Québec, à Sherbrooke, à Sainte-Scholastique, à Valleyfield, à Ormstown, à toutes les expositions de comté.

La vie était belle.