Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
LE DESTIN DES HOMMES

sa famille. D’ailleurs, M. Lionel Desbiens ne reparaissait plus dans la petite campagne, il ne revenait plus voir son oncle et sa tante.

Un soir, comme elle était allée au restaurant chercher une couple de bouteilles de coca-cola, Lucienne aperçut deux jeunes filles de ses connaissances, qui dégustaient une crème glacée.

— As-tu vu, Lucienne, la nouvelle dans le journal de ce soir ? demanda l’une d’elles.

— Quelle nouvelle ? interrogea Lucienne.

— M. Lionel Desbiens qui se marie avec une Américaine de New-York. Leurs portraits sont dans le carnet social. Il paraît qu’il l’a rencontrée au cours d’une croisière en mer. Ils doivent se marier dans quinze jours.

Sans en entendre davantage, Lucienne Lepeau sortit de l’établissement.

— As-tu vu ? Ça lui a donné une claque, remarqua la fille qui avait annoncé la nouvelle.

— Tu penses pas que je suis aveugle. Bien certain que j’ai vu, répondit l’autre. Je te dis que ça l’a gelée. Parce qu’il l’avait amenée faire un tour d’automobile, elle se croyait déjà Mme Lionel Desbiens.

Lucienne allait sur la route comme une femme ivre. Il lui semblait qu’elle allait devenir folle. Elle entra chez elle indiciblement malheureuse. Et la porte fermée, elle se jeta sur une chaise et sanglota éperdument, désespérément, toute secouée par sa peine.

Un beau rêve s’était effondré.

Mais le hasard aveugle, parfois secourable, lui envoya la consolation dont elle avait tant besoin. En effet, à quelques semaines de là, elle fit la connaissance de Raymond Lafleur, placier en bière, voyageur de commerce pour une grande brasserie. Toujours de bonne humeur,