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LE DESTIN DES HOMMES

répéta le lendemain et les jours suivants. Il se disait toutefois qu’il y a des distractions plus agréables que celle-là. Désormais, ce serait là sa vie, pensait-il. Sa jeune et jolie femme consentirait-elle toutefois à jouer à côté de lui le rôle de sœur de charité ? Cela, il avait peine à le concevoir.

Au bout de quatre mois, la guérison était venue, les moignons de ses jambes étaient cicatrisés et il était en mesure de quitter l’hôpital. On le mit à bord d’un navire avec six cents autres soldats qui rentraient au pays, les uns pour un congé, d’autres, blessés, pour achever de se guérir dans une infirmerie ou dans leurs familles. Les parents de tous ces hommes furent prévenus par le ministère de la Guerre qu’à tel jour, à telle heure, ils arriveraient à la gare centrale, à Montréal. Ce matin-là, il y avait foule dans l’immense salle des pas perdus. On voyait de jeunes épouses seules, d’autres avec un ou deux enfants, des sœurs, de vieilles mères. Quelques-unes étaient très élégantes, d’autres portaient des toilettes plus modestes. Yolande Dupuis avait mis pour la circonstance un costume tailleur gris fer et un élégant chapeau en feutre noir qui lui allait à ravir. À l’heure dite, l’on entendit le puissant grondement d’un long train entrant en gare. Toutes les figures se tendirent vers l’escalier d’où sortiraient dans un instant les êtres chers attendus depuis si longtemps. Lorsque l’on vit apparaître les vaillants soldats dans leurs glorieux uniformes, un grand remous agita la foule et il se produisit une bousculade pendant que des acclamations retentissaient. Chacun dans cette multitude cherchait à apercevoir l’époux, le frère ou le fils. L’on se reconnaissait, dans un grand élan l’on se jetait dans les bras l’un de l’autre, l’on s’embrassait, l’on s’étreignait, l’on riait, l’on pleurait et, en parlant vivement, tant l’on avait hâte de tout se dire, l’on s’entraînait vers la sortie et l’on montait dans des