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LE DOUX PRINTEMPS


Mon premier voyage de l’année à Chateauguay m’a laissé une impression ineffaçable. C’était deux semaines après Pâques, par une belle matinée ensoleillée. Dans cet admirable jour de printemps, le train filait à travers la campagne et je sentais une douceur infinie me pénétrer. Par la fenêtre du wagon, les arbres, les guérets, les coteaux verdissants, les taillis déjà colorés par la sève montante, défilaient à mes regards comme le spectacle d’un cinéma, mais tout cela était vivant, éclatant, parfumé. Il me semblait que j’avais les sens rajeunis, aiguisés d’un malade qui fait sa première sortie. J’éprouvais une délicieuse sensation de repos, comme un homme qui se laisse doucement flotter sur l’eau, et par moments, j’étais tout vibrant d’une vie intense.

Je revis ces minutes précieuses.

À la petite station où je débarque, les voyageurs s’entassent avec leurs valises, leurs paquets, leurs sacoches, dans l’autobus qui conduit au village. Moi, je vais à pieds. Dans l’immense azur du ciel, de blancs nuages partent en caravanes heureuses. Au bord de la route, les rameaux des érables et des platanes couverts d’une rouge floraison qui fera bientôt place au feuillage, baignent dans l’air tiède et lumineux. Dans un peuplier, j’entends la voix familière d’un étourneau, une voix qui me ramène quarante ans en arrière, à la vieille maison paternelle où, chaque printemps, une foule de ces oiseaux faisaient leurs nids dans les grands arbres. Dans la haie d’un verger, je vois, avec quelle allégresse, les gros bourgeons verts des lilas. Déjà, il me semble respirer l’arôme puissant de leurs fleurs, des fleurs qui s’épanouiront en grappes dans six ou sept semaines.