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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

Au retour, nous corrigeons quelques épreuves de la Scouine. À plusieurs reprises, l’hiver dernier, Dearest m’a conseillé de publier ce roman commencé il y a vingt ans et qui reposait dans le tiroir de la table. Je l’ai remis à l’imprimeur et, maintenant que le livre est en train de prendre forme, nous éprouvons tous les deux une joie extrême à recevoir et à corriger les épreuves.

Ah ! les belles et bonnes heures que nous vivons !

La gerbe d’églantines, de marguerites et d’iris que nous avons cueillie au cours de notre promenade, orne notre table au dîner.

Maintenant, le repas fini, assis sur la véranda et, pendant que monte vers nous le parfum des roses, je lis à Dearest quelques pages des Drames Philosophiques de Renan, Cet ouvrage m’a été donné par la veuve de Jules Fournier en souvenir de l’amitié qui me liait à son mari. Là, dans ce beau jour d’été, dans la senteur des roses épanouies, je tranche les feuillets de ce livre que mon ami n’a pas eu le temps d’ouvrir. Je parcours ces pages qu’il aurait eu tant de joie à approfondir et à méditer. Je me délecte à cette lecture et lui, il est mort éternellement. Mort ? Pour moi, Jules Fournier n’a jamais été plus vivant qu’en ce moment où je coupe les feuilles de son volume et que je le lis en pensant à lui. Il vit dans le souvenir.

Maintenant, nous partons en chaloupe pour aller nous baigner à l’île des Sœurs. Nous filons sur la calme rivière, entre les beaux arbres.

Au lac, l’eau est fraîche, bienfaisante. Nous nous ébattons joyeusement. Pas de pensées sombres, pas de soucis. Nous sommes tout à la douceur de la minute présente. Nous goûtons complètement la joie de nager, de flotter et de jouer dans l’onde limpide et rafraîchissante et de nous chauffer ensuite au soleil sur le sable.

Après le souper, nous nous promenons près de la petite maison blanche. La lune énorme et jaune apparaît à la cime des arbres, de l’autre côté de la rivière qui coule calme et paisible. La nuit vient. Une à une, les étoiles s’allument au ciel.

Pierre et Marcel montent se coucher. L’instant d’après, j’aperçois leurs deux têtes blondes à l’étroite fenêtre de leur grenier. Ils sont las, et dormiront dans quelques minutes.

— Bonsoir ! Bonne nuit ! me crient leurs voix claires.

Et le silence se fait.

Marquons ce jour d’une pierre blanche.