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MARCHE FUNÈBRE


Tragique et noir, le soir tombe.

Et brusquement, dans le calme lourd, passe comme un gémissement étouffé dans les cimes des grands ormes.

À l’horizon, d’énormes nuages tumultueux et sombres s’entrechoquent, semblent vouloir escalader le ciel.

De nouveau, la plainte se fait entendre, lente, profonde, douloureuse. Une plainte déchirante qui va jusqu’au fond des entrailles.

Quelque part, là-bas, une femme aimée va mourir.

Les branches des grands ormes s’agitent désespérément comme des bras, des bras qui s’élèvent et s’abaissent avec fièvre et qui, impuissants, retombent tout le long du corps.

Là-haut, dans la cime touffue des ormes centenaires, passe la plainte angoissante. Leurs rameaux s’agitent comme des poings furieux qui se crispent et se tordent.

Et le désespoir gémit et hurle inlassablement.

Plus forte se fait entendre la plainte. C’est un cœur qui se brise. Un instant, le gémissement cesse. Les branches s’agitent longuement, lentement, comme pour éventer une figure à l’agonie.

Pendant quelques secondes, le silence se fait, un silence tragique, solennel.

Un souffle doux comme un dernier soupir passe dans l’air.

Une plainte immense, une plainte comme il n’en fut peut-être jamais poussée, emplit tout le soir.

Quelque part, là-bas, une femme aimée est morte.

Des yeux d’amour se sont fermés pour toujours.