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CLAMEUR NOCTURNE


La lune comme un énorme ballon jaune se lève juste au-dessus de la grange, en haut du coteau, de l’autre côté de la rivière.

La grande paix du soir enveloppe la campagne.

Les hauts liards semblent se recueillir et une étoile vient d’apparaître dans la profondeur du ciel.

L’heure est douce infiniment. Et toute la vie devrait ressembler à ce moment.

Soudain, un cri sauvage, déchirant, un appel désespéré nous arrive. Il se répète encore et encore.

C’est une clameur sinistre. De loin, elle se fait entendre, de plus en plus profonde, tel un hurlement de détresse. Voix d’un être qu’on égorge ou d’un homme qui se noie ?

Un souffle de terreur passe dans l’ombre qui enveloppe la terre. La paix auguste du soir est brisée, anéantie.

Le cri roule sur la rivière, s’étend sur la campagne, pénètre violemment dans les maisons.

Là-bas, le rugissement continue. C’est une clameur de meurtre que l’écho multiplie.

Et son mégaphone rivé à la bouche, le capitaine de l’équipe de canotiers qui entraîne ses hommes, vocifère furieusement : One, two ! one, two ! one, two ! pendant que les avirons plongent énergiquement dans l’eau et que les rameurs pantelants, haletants, exténués, se tendent dans un effort surhumain dans l’espoir de vaincre leurs adversaires par une demi-longueur aux prochaines régates !