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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

philosophie que sa fille, sachant que toute recherche dans le moment ne donnerait aucun résultat remarqua :

— Nous le saurons certainement demain et ce sera toujours assez vite.

Alors, après avoir causé un moment d’autres choses, les deux femmes se séparèrent et montèrent à leurs chambres.

Elles furent levées à bonne heure le lendemain matin, un dimanche.

Mme Denault n’eut pas besoin de faire de longues recherches. Sur le trottoir, juste en face de la maison, à quelques pas de la barrière, était la tête et la moitié d’un cou de poule. Détail répugnant, cette tête n’avait pas été tranchée, mais brutalement arrachée, d’un vigoureux effort. Un peu plus loin était une autre tête décollée de la même manière. Quant aux corps des deux poules, il était évidemment inutile de les chercher. Des taches rouges sur le trottoir indiquaient le chemin suivi par les chenapans après leur vol. Ces indices conduisaient jusqu’à la rue des Noyés formée d’une centaine de bicoques.

Mme Denault était affligée et indignée de cet acte de maraude. Après avoir suivi les dernières traces sanglantes elle revint en toute hâte chez elle. Elle était impatiente de compter ses poules. En arrivant, elle prit une tasse de blé dans un sac dans sa cuisine, puis sortant sur son perron, se mit à appeler ses volailles. À sa voix, la bande arriva à la course. Mme Denault lança alors une grande poignée de grains blonds. Le blé s’éparpilla sur le gazon et les poules se mirent à picorer avidement. Mme Denault les compta rapidement. Elle en avait vingt-sept. Elle n’en trouva plus que vingt-deux. Donc, on lui en avait volé cinq. Mme Denault se sentit très malheureuse. Certes, deux poules, c’était déjà une perte, mais cinq ! Et intérieurement, elle maudissait les féroces maraudeurs tout en se disant que son mari était probablement du nombre.

— C’est lui et ses amis qui ont fait le coup, disait-elle.

Les deux poules auxquelles on a arraché la tête ont servi à faire un excellent fricot dont quelques compères sans scrupules se sont régalés en vidant en même temps quelques bouteilles de bière. Quant aux trois autres, les trois vivantes, on les a enfermées dans un vieux hangar avec quelques autres poulettes racolées à droite et à gauche, au hasard de la maraude. Pendant des jours, des gerbes d’avoine dérobées dans un champ voisin ont pourvu à la subsistance des poules. Plus tard, des javelles de sarrasin récoltées la nuit les ont tenues en