Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

D’autres années passèrent.

Le Dr  Demesse fut défait aux nouvelles élections. Il dut rentrer dans la vie privée. Il tenta alors de se faire nommer professeur à l’université, mais ne put réussir. Il avait l’ouie dure. Il se donna entièrement à sa profession, mais ce n’était plus comme autrefois. Ses longues absences comme député, ses voyages en Europe, avaient forcé les malades à recourir à d’autres médecins. La vogue allait à des praticiens plus jeunes, qui suivaient leur affaire de près. L’on vivait toujours largement, mais l’on ne donnait plus que des acomptes sur les notes des fournisseurs. Alors, Mme  Demesse dut porter longtemps les mêmes robes et les mêmes costumes.

Malgré tout, l’on restait optimistes.

Décourage-toi pas, ma belle, nous retournerons en Europe, lui disait son mari certain jours.

Et ils le croyaient tous deux.

* * *

Après les années de splendeur, d’élégance, de table hospitalière, de voyages, l’on descendait la côte, l’on entrait dans une période difficile. Les clients étaient rares. Maintenant, lorsqu’ils sortaient, le docteur et sa femme étaient seuls. Ils n’attiraient plus l’attention. La gêne était arrivée. Le loyer n’était pas payé depuis des mois, l’épicier et le boucher qui n’avaient pas reçu d’acompte depuis longtemps refusaient d’avancer davantage. Alors, le docteur vendit sa bibliothèque. D’ailleurs, il avait perdu l’habitude de lire. L’on vécut pendant quelques mois en achetant au comptant chez d’autres fournisseurs. Puis, ce fut le piano qui sortit à son tour, mais alors le propriétaire qui réclamait en vain son loyer jeta les hauts cris,