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FAMILLE D’ÉMIGRÉS



C’ÉTAIT une pauvre famille d’émigrés ukrainiens… Ils venaient d’une lointaine province de la Russie. La misère, la tyrannie, le découragement les avaient arrachés du coin de terre leurs ancêtres avaient vécu, où eux avaient peiné, souffert, où ils avaient durement travaillé. Leur destin les poussait vers l’Amérique où ils espéraient un lot moins misérable. Ils étaient de la race des opprimés, des malchanceux. Sous le régime des tzars, lors d’une répression, le grand-père avait été pendu, son frère fusillé et leur petit champ acquis au prix de durs labeurs, de continuels sacrifices avait été confisqué. Le père avait subi toutes les injustices. Il semait du blé. Les administrateurs de l’empire le lui prenaient… Lui et les siens mangeaient, pas à leur faim, de la galette d’orge, dure, massive, indigeste, et des pommes de terre. Enfin, un jour, ils étaient partis. Sept : le père, la mère et cinq enfants, avec deux coffres en bois renfermant leurs effets. Des wagons faits pour le bétail plutôt que pour des hommes les avaient trimbalés pendant des jours jusqu’à un port de mer. Là, on les avait entassés dans une cabine infecte, dans la cale d’un navire. Puis, le troisième jour, le plus jeune des enfants était mort. Son petit cadavre avait été jeté à la mer, com-