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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

paille qui formaient la couche des parents, poussait et sortirait bientôt. Ainsi vont les générations.

C’était à la fin de mai. Dans la plaine verte, au milieu des hautes herbes, l’on rencontrait ici et là des lis jaunes sauvages épanouis au soleil. De maigres trembles, au feuillage pâle, éternellement agité, donnaient un air de tristesse, de désolation au paysage.

Pour se mettre en règle avec le gouvernement pour son homestead, le père, « cassait » de la terre dans son champ avec sa femme. Il défrichait. Les enfants restaient à la maison. La veille, l’émigré avait « fait boucherie ». Il avait tué un jeune porc et, après l’avoir dépecé, coupé en morceaux, l’avait mis dans le saloir et recouvert de saumure. Maintenant, il labourait le terrain inculte avec ses deux chevaux et un troisième qu’il avait loué. Le sol était dur, massif, résistant et le coutre le fendait difficilement. Les trois chevaux tiraient à plein collier. Pour tenir les mancherons de sa charrue, la diriger, l’homme avait besoin de mettre toute sa force. Sa femme conduisait les bêtes. Le visage de l’homme était couvert de sueurs. Elles lui inondaient le front, coulaient sur les yeux qu’elles brûlaient, lui descendaient sur tes joues. Toute sa vieille chemise était trempée par la transpiration. Sa femme qui portait un petit dans son ventre ne se sentait plus de fatigue. Il lui semblait qu’elle était chargée d’un fardeau énorme et ses jambes fléchissaient. Les chevaux qui tiraient sur la charrue pour ouvrir la terre, n’avançaient qu’en poussant un long et bruyant souffle et en balançant la tête à chaque pas. Et l’on respirait une fraîche et forte odeur d’humus et un âcre relent animal.

Comme il traçait péniblement un sillon, l’homme en levant les yeux vit venir l’aîné de ses enfants, âgé de huit