Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 07.djvu/440

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Le Garçon, arrivant de droite.

Monsieur ?

Gatinais.

Apportez-moi de la liqueur… ce que vous aurez de plus fort.

Le Garçon.

De la chartreuse verte… voilà, monsieur.

Il apporte un carafon et un petit verre, et sort par la droite.

Gatinais, assis à la table ; il verse trois verres coup sur coup qu’il avale.

J’ai besoin de m’étourdir !… Retrempons-nous ; car, pour un rien, je sens que j’irais me dénoncer… Voyons !… raisonnons… Ce Blancafort… qui a changé de nom… c’est à peine si je le connais… On prétend qu’il m’a sauvé la vie… Eh bien, oui, c’est vrai… j’en conviens… mais il y a diablement longtemps… (Il boit plusieurs petits verres.) Et, d’ailleurs, s’il ne m’avait pas sauvé… si je n’avais pas consenti courageusement à me cacher dans son four… on aurait fait fermer son établissement… Voilà où je le pince ! (Il boit.) Il a pensé beaucoup plus à lui qu’à moi… c’est un égoïste !… Bien ! voilà que je lui flanque des injures maintenant… c’est ignoble ! (Il boit.) Un homme qui risquait de se faire massacrer pour moi… (Se grisant et s’attendrissant.) Car il est bon, cet homme !… c’est un bon mari… qui rend sa femme heureuse… qui élève bien ses enfants… Il en a un dans les assurances… il va très bien… l’autre est en Afrique… il se bat contre les Arabes… il défend les frontières de la France ! (S’exaltant.) Et, pendant ce temps-là, je couvrirais d’ignominie les cheveux blancs de son père, moi ! Gatinais ? Ah ! j’en ris de honte et de pitié ! Satanée liqueur ! elle me remue… Elle me fait pousser des idées… là… au cœur ! Car, enfin, je ne suis pas un misérable, moi ! je suis un brave homme ! je fais