Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/192

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Or voici qu’un Esprit, une âme fraternelle,
L’ami, son compagnon dans la sainte Cité,
Lui révèle en ces mots la sentence éternelle,
L’irrévocable arrêt que le maître a porté :

« Frère, entre nous ta chute, hélas ! ouvre un abîme
Que l’expiation seule un jour peut fermer.
La Justice suprême en châtiant le crime
Attend le repentir qui doit la désarmer.

« Entre ton juge et toi ta faute est un mystère
Interdit aux regards même de l’amitié ;
Mais dans l’ange tombé je vois toujours le frère,
Et l’éternel permet l’éternelle pitié !

« Esprit, tu dois subir une prison charnelle,
Te revêtir d’un corps à mourir condamné ;
Tu naîtras de la femme, et, t’absorbant en elle,
Un jour tu comprendras le malheur d’être né.

« L’exil sera ta vie et ton séjour la terre.
Traînant partout le deuil de ton climat natal,
En tous lieux étranger, en tous lieux solitaire,
Tu connaîtras l’amer tourment de l’idéal.

« Tu garderas tes dons ! ta puissance secrète
Sans cesse autour de toi fera l’isolement :
Poète parmi nous, tu resteras poète
Chez l’homme, et ce sera ton plus dur châtiment.