Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/226

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Je l’ai fait ; et voici que votre voix me blâme,
Vous, la muse au doux verbe, au front vêtu de noir.
Mais en moi, sachez-le, vous blâmez, ô belle âme !
Un frère par l’épreuve et par le désespoir.

Vous vous trompez : ma voix n’a point raillé mes peines !
Le sort n’a point glacé mon cœur, il l’a bronzé.
Je souffre comme vous, mais, libre dans mes chaînes,
Je souffre du malheur d’être désabusé !

Vous vous trompez : les pieds sur mes tendresses mortes,
J’ai maudit, non raillé qui m’a su torturer !
J’ai crié dans l’angoisse au Dieu des âmes fortes :
Guérissez-moi d’aimer, de croire et d’espérer !

J’ai trop cru, trop aimé ! — ce crime, je l’expie !
Le doute après la foi ! la nuit après le jour !
Mon idéal trompé fait ma misanthropie !
Ma haine — si c’est haine — est fille de l’amour !

Ce que j’attends des jours, ce n’est pas l’espérance,
Mais l’ombre. — Eh ! que m’importe à moi le væ soli !
La solitude est douce et bonne à ma souffrance :
En attendant la mort, j’y viens chercher l’oubli.

Qui ? moi ! me replonger dans les mêmes détresses !
Abdiquer mon orgueil aux douloureux efforts !
Non ! — Ne point triompher de nos lâches tendresses,
C’est aux faibles donner raison contre les forts !