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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

vous en déduirez le prix du cheval… Allons, M. l’Inspecteur ! Voyez ! La pauvre bête semble me demander de la sauver des horreurs de la houillère.

L’inspecteur haussa les épaules en riant. Tout de même, il se rendit au plaidoyer du jeune homme.

En quart d’heure plus tard, Yvon Ducastel arrivait à la porte de sa maison de pension, conduisant à la bricole un magnifique cheval gris pommelé.

— Tiens ! M. Ducastel avec un cheval ! s’écria Mme Francœur, la maîtresse de pension, en l’apercevant.

— Il m’appartient, Mme Francœur. N’est-ce pas que c’est une belle bête ? fit Yvon, tout fier de son acquisition.

— Certes, oui, c’est une belle bête !

— Et voyez, il s’est déjà attaché à moi ; il paraît content de m’appartenir.

En effet, le cheval ne faisait que hennir doucement, hocher la tête et piocher le sol, comme s’il eut compris de quel sort son nouveau maître venait de le soustraire.

Mais pour revenir au jour où commence ce chapitre, « M. l’Inspecteur » ayant un mois de congé à sa disposition, avait résolu de l’employer à parcourir la Nouvelle-Écosse à cheval. Il s’en irait par l’est et reviendrait par l’ouest, voyageant à petites journées, sans fatigue, ni pour lui ni pour sa monture… (Mais il ne faut pas oublier que, toujours, l’homme propose et Dieu dispose).

Que ça allait être agréable de cheminer ainsi, avec Presto pour seul compagnon ! Car ils se comprenaient très bien, tous deux. Presto et son maître ; Yvon parlait à son cheval, et si celui-ci s’il ne lui répondait pas en paroles, il le faisait par des hennissements prolongés, des hochements de tête si significatifs, que c’en était vraiment curieux.

Ayant dépassé les dernières maisons de la ville, ce dimanche après-midi dont nous parlions, plus haut, Yvon Ducastel se dirigea vers l’est, ainsi qu’il se l’était proposé. Il connaissait un endroit, en plein bois, où il passerait la nuit, dans une sorte de chantier, et où son cheval serait à l’abri, en cas d’orage.

La Nouvelle-Écosse n’est accidentée que par endroits. Yvon suivait donc un chemin serpentant à travers des champs de verdure et de pommiers en fleurs.

Soudain, il arrêta sa monture et regarda autour de lui, comme pour s’orienter ; il était arrivé à une fourche de chemins… Lequel de ces deux chemins prendrait-il ?… Celui de droite eut paru fort engageant, voire même le seul… chevauchable, à qui n’eut pas été en quête d’aventures, car il était droit et assez bien entretenu, tandis que celui de gauche n’était, en fin de compte, qu’un sentier. Peu de voitures devaient passer par là… mais, à cheval, on se risque souvent là où une voiture ne se risquerait pas.

— Bonjour, M. l’Inspecteur ! dit une voix, tout à coup.

— Ah ! Tiens ! C’est vous, M. Francœur ? s’écria Yvon.

— Vous voilà donc partit pour votre excursion ? demanda Étienne Francœur.

— Oui… Mais, dites-moi donc quel est ce chemin ? fit le jeune homme, en indiquant le sentier de gauche.

— Ça, c’est le chemin de la Maison Grise M. Ducastel, lui fut-il répondu. Ce n’est pas…

— Le chemin de la Maison Grise, interrompit Yvon : ce qui signifie, je le présume, qu’il y a une maison grise, sur le parcours, ou au bout de ce chemin, hein ? ajouta-t-il en riant.

— S’il y a une maison… grise ou d’autre couleur, sur ce chemin, M. l’Inspecteur, personne ne l’a jamais vue : personne n’a pu s’y rendre encore, répondit gravement Étienne Francœur.

— Vraiment ? Et pourquoi cela ?

— Ah ! Je ne sais pas… Le chemin est impassable, prétend-on… Les uns affirment qu’il est hanté.

— Hanté ? Ha ha ha ! dit Yvon. Eh ! bien, je vais m’assurer de la chose.

— Vous… Vous n’allez pas vous aventurer sur ce chemin, M. l’Inspecteur !

— Pourquoi pas ?… Et puis, mon ami, je n’appellerais pas cela