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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Monsieur, vous savez ; je les aime bien trop pour les craindre.

— Que vous les craigniez, ou que vous ne les craigniez pas, cela m’est égal, vraiment, lui fut-il répondu froidement. Mais je ne veux pas que Guido fasse ami avec des étrangers ; voilà.

— Ah ! Je comprends, fit Yvon, qui ne put s’empêcher de sourire de la… franchise de son hôte.

— Tant mieux, si vous comprenez dit l’homme ; je ne serai pas à la peine de le répéter, je l’espère.

— Tout de même, reprit notre ami, je crois que c’est mauvaise politique que de parler rudement aux bêtes, ou de les traiter brutalement. Il vaut mieux se faire aimer d’un chien… ou d’un cheval, que de s’en faire craindre ou haïr. Quant à Guido…

— Jeune-homme, interrompit l’hermite, je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires… et veuillez vous le tenir pour dit… puisque, probablement, vous allez séjourner quelque temps sous mon toit…

— Bien malgré moi, croyez-le ! riposta Yvon, fort mécontent. Je ne pourrais abandonner ce monsieur qui est malade, c’est entendu.

— Ainsi, ce n’est pas votre père ce monsieur qui a été assez maladroit pour se donner une entorse ?

Le rouge de la colère monta au visage d’Yvon ; vraiment, cet homme vous avait une façon de parler infiniment déplaisante… insultante même !

— Non, ce monsieur n’est pas mon père, répondit-il. C’est un étranger, que j’ai trouvé étendu sur le chemin, sans connaissance. Un pas de plus de mon cheval Presto et celui-ci l’eut piétiné.

— Et il s’est réellement donné une entorse, je sais…

— Mais… Sans doute ! Sans cela…

L’homme se mit à rire ; mais il daigna expliquer sa dernière remarque :

— Plus d’une fois, il est arrivé qu’on a simulé un accident, dans ces parages, espérant ainsi pouvoir satisfaire sa curiosité concernant la Maison Grise… et celui qui l’habite aussi…

— Vraiment ? s’écria Yvon. Ah ! Bah ! ajouta-t-il, en haussant les épaules.

L’homme fit un signe affirmatif, puis il demanda :

— Votre nom, Monsieur ?… Serait-ce indiscret de vous le demander ?

— Certes, non ! s’écria en riant le jeune homme. Mon nom, je n’ai aucune raison d’en avoir honte… Je me nomme Ducastel… Yvon Ducastel… pour vous servir.

— Et moi, mon nom de famille c’est Villemont.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, M. Villemont, fit Yvon, qui inclina la tête en souriant.


Chapitre V

YVON SE FAIT CONNAÎTRE


La conversation ci-haut avait eu lieu tandis que les deux hommes étaient attablés à une table bien mise, sur laquelle les argenteries et les porcelaines fines ne manquaient pas, non plus que les mets succulents et exquis.

Tout en causant, Yvon avait observé son hôte et il s’était demandé pourquoi il cultivait tant de barbe, quand ses traits étaient si réguliers, presque parfaits même. Il y avait peut-être quelque chose d’un peu cruel dans l’expression des yeux et de la bouche, et c’était peut-être pour cela que M. Villemont tenait à cacher sa lèvre supérieure par exemple, sous l’ombrage d’une épaisse moustache. Quant à ses yeux… oui, ils étaient décidément cruels, sous leurs sourcils broussailleux, qui se rejoignaient presque au milieu du front…

Mais, pourquoi cet homme qui, malgré sa voix rude, ses reparties brutales, parfois, paraissait posséder de l’éducation et du savoir-vivre, pourquoi se demandait Yvon, choisissait-il de vivre en hermite ainsi ?… Pourquoi n’habitait-il que l’arrière de sa maison ?… Était-ce réellement pour qu’on crût que la maison était abandonnée, et pour encourager, en quelque sorte, la superstition des gens ; celle qui existe toujours (à l’état latent chez quelques-uns peut-être mais qui existe quand même) en face d’une