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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

lui fallait bien se rendre à l’évidence ; on sanglotait quelque part dans la maison, et ces sanglots, au milieu du silence de la nuit, cela faisait dresser les cheveux sur la tête…

Pourtant, qui sanglotait ainsi ?… Il était seul, dans la maison, à part des domestiques, qui eux, couchaient sur le troisième palier… D’ailleurs, ça ne pouvait être cette bonne Catherine qui gémissait ainsi…

Le jeune homme frissonna malgré lui ; c’est que c’était lugubre ces sanglots lui parvenant de… il ne savait où…

On sanglotait de plus en plus fort… Puis, ce fut une sorte de chuchotement… ou plutôt une plainte lointaine ; une voix (une voix de femme évidemment) disait : « Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu ! »

Encore des sanglots… Encore des chuchotements de voix qu’on eut cru surnaturelles… suivis d’un cri d’horreur, puis de la chute d’un corps… et tout rentra dans le silence…

— Ma foi ! se dit Yvon, en se levant, il n’y a rien, ici-bas, qui n’ait une explication naturelle… si on cherche bien. Les choses surnaturelles ne sont pas de ce monde… Quelqu’un vient de sangloter, dans la maison, puis de crier, puis de tomber Serait-ce M. Jacques ?… Impossible !… Cependant… peut-être M. Jacques nourrit-il quelque secrète peine… En fin de compte, je ne connais rien de son passé à M. Jacques… Lorsque je l’ai connu, il était le gérant d’une banque… Mais, d’où venait-il ?… Et qui sait s’il n’y a pas eu quelque drame dans sa vie, jadis…

À cette pensée que son ami pouvait être de retour à la maison et souffrant dans sa chambre, Yvon s’empara de sa lampe et partit en exploration.

Lionel Jacques n’était certainement pas dans la maison, car notre jeune ami explora toutes les pièces du second palier d’abord, surtout celles qui avoisinaient sa propre chambre à coucher, espérant y localiser le bruit qui l’avait tant étonné, tant intrigué tout à l’heure. Il s’arrêta même au pied de l’escalier conduisant au troisième, là où couchaient les domestiques. Aucun bruit ne lui parvint ; Jasmin, et Catherine, sa femme, devaient dormir sur leurs deux oreilles.

Il descendit au premier étage. Là non plus, il ne vit et n’entendit rien. Lionel Jacques n’était certainement pas de retour, car Yvon constata que ni son chapeau ni son pardessus n’étaient accrochés à leur crochet accoutumé.

— C’est étrange… étrange !… murmura-t-il, lorsqu’il fut de retour dans sa chambre. S’il se passe de pareilles choses au Gîte-Riant, la nuit ; si on y entend de mystérieux sanglots, des chuchotements que l’on croirait venir… d’outre-tombe, accompagnés d’horribles cris, puis de la chute d’un corps, il n’est pas surprenant que M. Jérôme ait vendu sa propriété au premier acquéreur venu, et pour un prix minime, comme me l’a annoncé M. Jacques… Mais, M. Jacques… Comment peut-il vivre dans cette maison ?… Moi, je ne suis pas un enfant, et Dieu sait que je ne suis pas superstitieux, mais cela me démantibulerait les nerfs, et vite, ces sortes de choses, je l’avoue !

Raconterait-il à son hôte son expérience de la nuit ?… Certes, celui-ci devait savoir fort bien à quoi s’en tenir : n’avait-il pas failli en parler déjà à son invité, alors que ce dernier lui demandait comment l’ex-propriétaire du Gîte-Riant avait pu se décider à se défaire de sa maison ?… M. Jacques s’était tu pourtant… sans doute, il avait espéré que le… spectre du Gîte-Riant ne donnerait pas de… démonstration pendant le séjour de son invité sous son toit. Ces sanglots étaient donc plutôt intermittents… Ce n’était pas toutes les nuits qu’ils se faisaient entendre… Tout de même comme c’était étrange, étrange !…

— Je ne sonnerai pas mot de ce dont j’ai été témoin cette nuit, résolut Yvon soudain. Si la chose se renouvelle pourtant, je proposerai à M. Jacques que nous fassions une investigation et que nous essayions de découvrir la source de ces lugubres bruits… Tout ce que je sais, dans tous les cas, c’est que je n’aimerais pas à habiter le Gîte-Riant, à l’année… Comme dirait