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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

n’ai vu rien de pareil de ma vie ! Ça va tomber, tout à l’heure, je vous le dis !

— Tout de même, j’aurai le temps de me rendre chez M. Jacques, j’en suis persuadé, avant le grand fracas, chère Mme Francœur, dit Yvon qui, pour des raisons que nous devinons bien, avait hâte de partir.

Six heures venaient de sonner ; c’était le moment où Annette, ayant achevé son travail de la journée, retournait à la Maison Grise… par le Sentier de Nulle Part, probablement, malgré l’orage qui menaçait… Son grand-père ne lui avait-il pas défendu l’autre chemin…

Annette… la pauvre aveugle… cheminant sur le Sentier de Nulle Part, si dangereux, alors que le tonnerre faisait vibrer l’atmosphère !…

Par l’imagination. Yvon voyait la pauvre enfant, s’en allant seule, avec Guido, sur le sinistre sentier, pâle, tremblante de peur : car elle ne devait pas être sans savoir le risque qu’elle courait d’être écrasée sous quelqu’éboulis…

— Marche, Jack, marche — s’exclama-t-il, en s’adressant au cheval, qui avait l’air de ne pas tenir à se presser.

Il craignait tant d’arriver en retard au rendez-vous ; c’est-à-dire à la fourche des chemins !

Il fut en temps cependant ; mais juste en temps, car Annette allait s’engager dans le Sentier de Nulle Part, au moment où il l’aperçut.

Les aboiements joyeux de Guido avertirent la jeune fille de l’arrivée d’Yvon sans doute, car elle tourna la tête de son côté et il la vit sourire… Comme elle était pâle ! Évidemment, l’idée de cheminer sur le dangereux sentier, alors que l’orage s’approchait davantage, à chaque instant, remplissait son cœur d’épouvante.

— C’est moi… Yvon Ducastel, Mlle Annette, fit le jeune homme, descendant de voiture et s’approchant de l’aveugle. Guido vous en avait averti, n’est-ce pas ? ajouta-t-il en souriant.

— Oui, Guido m’en avait averti, M. Ducastel.

— J’espère que je vous retrouve en excellente santé, ma petite amie ? demanda-t-il, en lui prenant la main.

— Merci. Ma santé est toujours bonne, répondit-elle.

— J’aime à croire que vous ne m’avez pas soupçonné d’inconstance ?… Je ne vous avais certes pas oubliée ; mais il m’a été impossible de quitter mon ami (M. Jacques) avant aujourd’hui.

M. Jacques aurait-il rempiré ?

— Oh ! non ! Au contraire, bien au contraire ! Il peut marcher un peu maintenant, vous savez, Annette ; cependant, il a besoin encore de l’aide d’une canne et d’un bras solide.

— Ah ! Je comprends, fit-elle en souriant.

— Puis-je espérer que vous ne m’avez pas complètement oublié, depuis notre rencontre de l’autre jour, Mlle Annette ; que vous avez pensé à moi quelque fois et aux serments d’amitié que nous avons échangés, vous et moi ?

— J’ai pensé à vous quelquefois, oui… souvent même…

— Chère, chère Annette !

— Voyez-vous, je me sens si heureuse, si… rassurée, à la pensée d’avoir en vous un ami si sincère !

— Merci ! Merci ! Annette !

— Mais, je ne peux pas m’attarder plus longtemps à causer avec vous aujourd’hui, M. Ducastel ; un orage électrique se prépare et… et… j’ai… peur… excessivement peur !… Le Sentier de Nulle Part…

— Vous ne pouvez pas vous risquer dans le Sentier de Nulle Part aujourd’hui, chère enfant ! s’écria Yvon. Ce serait de la dernière imprudence !

— Je le sais bien !… Mais grand-père…

— Certes, je ne veux pas vous conseiller la désobéissance aux ordres de votre grand-père, ma petite amie ; mais il faut songer à vous-même, à votre propre sûreté, tout d’abord. Écoutez, je suis en voiture… Vous me permettrez bien, n’est-ce pas, de vous mener jusque chez-vous ?

— Jusque chez-nous ! s’exclama la jeune fille, prise de véritable panique, rien qu’à cette idée d’arriver à la Maison Grise accompagnée d’un jeune homme.