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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

et belle… belle comme un ange du ciel, avec ses cheveux d’or, fins, soyeux et abondants, ses yeux bleus, si foncés, lorsqu’elle est émue, qu’on les dirait presque noirs. Ses traits sont parfaits. Dans ses joues ordinairement pâles, se creusent d’admirables fossettes lorsqu’elle sourit. Ses dents sont comme deux rangées de perles fines… Oui, Annette, la petite-fille de l’hermite de la Maison Grise ; de cet homme à la voix, aux gestes si brusques, de ce toqué si désagréable, est une radieuse jeune fille.

Une expression de grand étonnement se peignit sur le visage de Lionel Jacques en entendant cette description enthousiaste de l’aveugle faite par Yvon. Il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais il se tut.

— Vous savez, M. Jacques, reprit le jeune homme, je l’ai reconnue, Annette, tout de suite en l’apercevant. à W…, l’autre jour.

— Tu l’as… reconnue, dis-tu ?… Reconnue ?

— Je l’avais vue… une nuit… parmi les rochers environnant la Maison Grise.

— Ah ! fit Lionel Jacques.

— J’ai eu, cette nuit dont je vous parle, la vision de son visage exquisément beau… Je l’ai vue, cette vision, tendre les bras vers le ciel, en un geste suppliant… ou désolé…

— Suppliant ?… Désolé ?…

— Est-ce surprenant, M. Jacques, que la pauvre enfant soit malheureuse ? Pensez-y ! Elle vit seule là-bas, avec son grand-père qui, évidemment, n’est pas plus tendre pour sa petite-fille que pour le reste du genre humain.

— Tu te trompes peut-être, mon garçon… Souvent, sous des dehors rudes se cache un cœur d’or et…

— Un cœur d’or ! Lui ! M. Villemont ! Vous me faites rire, M. Jacques !

— Tout de même !… M. Villemont doit aimer sa petite-fille… une orpheline évidemment…

— Ah ! Bah ! Il est cruel pour la pauvre enfant, j’en jurerais ! La preuve en est qu’Annette ne peut prononcer le nom de son grand-père sans pâlir et trembler.

— Ah ! La pauvre, pauvre petite alors ! s’exclama Lionel Jacques, sympathique tout de suite. Mais, continua-t-il, il y a une chose que je ne comprends pas ; c’est que M. Villemont oblige sa petite-fille à chanter dans les rues, pour amasser quelques sous… Je l’avais pris pour un gentilhomme, malgré ses brusques manières… Je me suis trompé, bien sûr, car il faut qu’il soit un triste sire pour exhiber ainsi au public, la terrible affliction de cette enfant…

— Et pour en trafiquer ! acheva Yvon, rouge de colère et d’indignation. Oh ! Cet homme ! ajouta-t-il. Combien je le hais et le méprise !

— Il est bien méprisable aussi ! s’écria Lionel Jacques. D’autant qu’il n’a pas l’air d’être si pauvre, après tout. Et puis, pourquoi ne travaille-t-il pas cet homme ? Il est fort et robuste.

— Il semble ne se priver de rien, fit le jeune homme.

— Mais… Cette enfant… est-elle aveugle-née, penses-tu, Yvon ?

— Je ne sais… Elle le dit, dans sa chanson, qu’elle est aveugle-née…

— Cela ne signifie rien cependant. Ce qu’elle chante, c’est probablement M. Villemont qui l’a composé ; alors….

— Écoutez, M. Jacques ; c’est à propos de la cécité d’Annette que je désire vous entretenir, surtout… Je voudrais faire venir un spécialiste pour la vue et avoir son opinion sur ma pauvre petite amie.

— Ça coûtera cher, mon garçon, car il te faudra faire venir un spécialiste de la ville de Québec.

— Oui, je sais… J’ai quelques centaines de dollars en banque : je ne pourrais en faire un meilleur usage qu’en l’employant pour Annette.

— Sans doute ! s’exclama Lionel Jacques.

— Cependant, j’aurai besoin de votre aide… de votre complicité, je devrais dire, pour arriver à mes fins.

— Vraiment ? Comment donc cela, Yvon ?… Dans tous les cas, tu peux compter sur moi ; je t’aiderai, je deviendrai ton complice, bien sûr !… D’ailleurs, tu le penses