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L’OMBRE DU BEFFROI

la salle à manger, pour y prendre leur repas du soir, quand sonna le timbre de la porte d’entrée.

— Des voyageurs, surpris par la tempête ! dit Henri Fauvet.

Il courut ouvrir lui-même. Le Docteur Carrol, suivi de ses deux filles, se précipitèrent dans le corridor.

— Docteur Carrol ! s’exclama Henri Fauvet.

— Lui même ! répondit, en souriant, le médecin. J’ai profité du beau temps pour venir vous rendre visite, ajouta-t-il, en riant, et je me suis fait accompagner par mes deux filles.

— Soyez les bienvenus ! dit Henri Fauvet. Approchez-vous du feu ; vous devez être presque morts de froid.

— Mes filles : Olga et Wanda, dit le médecin, en désignant ses compagnes, lesquelles, s’étant approchées du feu qui brûlait dans la cheminée, examinaient curieusement le corridor, et aussi l’escalier en spirale.

Marcelle, s’étant avancée dans la porte du salon, Henri Fauvet la présenta au médecin et à ses filles ;

— Je vous présente ma fille Marcelle, Docteur Carrol et Mesdemoiselles. Ma chérie, ajouta-t-il, tu vas conduire Mesdemoiselles Olga et Wanda dans leurs chambres, n’est-ce pas ?

— Venez ! dit Marcelle aux jeunes filles. Et comme Olga et Wanda avaient l’air à tenir à rester près du feu, elle leur dit, en souriant : Il y a du feu dans toutes les pièces, ce soir, car nous tenons les chambres prêtes, les jours de tempête ; nous ne savons jamais, voyez-vous…

Quand les jeunes filles furent parties, le Docteur Carrol dit à Henri Fauvet :

— Bayard, mon cheval ! Il ne faut pas que je l’oublie, pauvre bête !

— Votre cheval est dans l’écurie, M. le Docteur, dit, à ce moment, V. P., qui venait d’entrer dans le corridor, portant un plateau, sur lequel il y avait une carafe de cognac, un pot d’eau chaude et des verres.

— Ah ! merci, mon brave, répondit le médecin. Pauvre Bayard ! Il était totalement épuisé !

Henri Fauvet prépara trois punches au cognac. Il en offrit un au médecin, puis il dit à V. P. :

— Tiens, V. P., va porter ces deux punches au second palier ; c’est pour Mesdemoiselles Carrol.

— Et dites-leur que je leur ordonne de boire le contenu de ces verres, dit le Docteur Carrol.

— Certainement, M. le Docteur ! répondit le domestique. Puis se tournant vers son maître, il ajouta ; J’ai dit à Mme  Emmanuel de remettre le souper d’une demi-heure, M. Henri.

— Tu as bien fait, V. P. !

Les Carrol passèrent deux jours au Beffroi. Henri Fauvet était très content d’avoir renouvelé connaissance avec le médecin, et il se dit qu’Olga et Wanda seraient des amies pour sa Marcelle. En effet, les trois jeunes filles éprouvèrent immédiatement une sympathie réciproque. Il eut été impossible, d’ailleurs, de ne pas aimer les demoiselles Carrol ; elles étaient si intelligentes, si charmantes, si simples dans leurs manières, et si bonnes ! Et puis, toutes deux raffolaient du Beffroi ; cela seul eut suffi pour les faire aimer de Marcelle et de son père.

— Que c’est beau, que c’est imposant le Beffroi ! s’était écriée Wanda, le lendemain de leur arrivée, au moment où l’on se rendait à la salle à manger.

— Il y avait longtemps que je désirais en voir l’intérieur ! fit Olga. Nous désirions vivement aussi, Wanda et moi, faire la connaissance de l’Étoile du Nord !

— L’Étoile du Nord ? questionna Marcelle.

Olga et Wanda échangèrent un sourire.

— C’est ainsi qu’on vous désigne, en cette région, Mlle  Fauvet, répondit Olga.

— Vraiment ! L’Étoile du Nord ! Mais, pourquoi ?

Les demoiselles Carrol n’eurent pas l’embarras de répondre, car Henri Fauvet venait à leur rencontre, et aussitôt, on parla d’autre chose.


CHAPITRE II

PERDUE DANS LA BRUME


Le Docteur Carrol était un homme aimable et distingué, et si le Grandchesne n’était pas aussi luxueux que le Beffroi, (le médecin n’était pas riche), c’était une bien confortable demeure.

Demeurait au Grandchesne, à part le Docteur Carrol et ses filles, un jeune médecin, cousin éloigné de Mme  Carrol, qui avait nom Karl Markstien. Sans doute, les parents de Karl étaient d’origine allemande ; mais lui-même était né au Canada, et il se vantait souvent de ne pouvoir dire un seul mot dans la langue de ses pères. Une grande amitié, qui devait probablement se changer un jour, en un sentiment plus doux, existait entre Karl et Olga. Le Docteur Carrol, qui savait très bien à quoi s’en tenir, avait donné aux deux jeunes gens son approbation, car Karl était le bras droit du médecin et celui-ci savait qu’il pourrait lui confier le bonheur de sa fille aînée, quand le temps en serait venu.

Karl était installé chez le Docteur Carrol depuis cinq ans. Or, six mois après son arrivée au Grandchesne, un drame s’y passa, drame qui avait assombri la vie du médecin et de ses deux filles, de Wanda surtout : Mme  Carrol avait disparu.

Lorsqu’il s’était agi de placer Olga et Wanda dans un pensionnat de la ville de Montréal, Mme  Carrol avait, tout d’abord, protesté ; mais ensuite, elle s’était rendue aux raisons exprimées par son mari ; il fallait que leurs filles reçussent une bonne instruction. Tout de même, elle s’ennuyait de ses enfants, et plus d’une fois, surtout depuis qu’elles étaient venues, toutes deux, passer, avec leurs parents les vacances de Pâques, le Docteur Carrol avait, surpris sa femme à pleurer.

— Tu t’ennuies de nos chéries, Edith ? lui demanda-t-il, un jour.

— Un peu, je l’avoue, Lionel ! répondit Mme  Carrol. Mais, les vacances de l’été arriveront bientôt, et ensuite, eh ! bien, si tu y consens, nous ne nous séparerons plus d’elles.

— Ça sera tout à fait comme tu le désireras, mon Edith, répondit le médecin. Même, si tu t’ennuies réellement, j’irai bien chercher nos petites.

— Non ! Non ! protesta Mme  Carrol. Olga et Wanda doivent s’instruire, je le comprends.

Malgré ses protestations pourtant, elle pleu-