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L’OMBRE DU BEFFROI

faire une excursion agréable en y allant tous ensemble ? La proposition, faite si cordialement, avait été acceptée joyeusement, et voilà pourquoi on s’acheminait vers C…, en ce moment.

Arrivés à destination une surprise attendait les excursionnistes : le petit établissement était rempli de monde.

— Tout ce monde ! s’écria Marcelle. Qui eut cru qu’un établissement si petit fut tant peuplé !

Une ombre passa sur le front de Raymond.

— Ce sont les « Sauterelles », Mlle  Fauvet, dit il. Nous avons bien mal choisi notre jour pour faire une promenade à C…

— Les Sauterelles ? questionna Henri Fauvet. Je… je ne comprends pas, Le Briel.

— C’est un mot de moi, dit Raymond en souriant. Pour parler clairement, tous ces gens que vous voyez, ce sont des laboureurs allant travailler dans le Nord-Ouest.

— Mais, que font-ils ici, alors ?

— Ah ! voilà ! Leur train a dû être mis sur une voie d’évitement pour laisser passer le train régulier. Hélas ! c’est une calamité pour les villages près desquels ces gens se trouvent ; ils dévastent tout, et c’est pourquoi je les nomme les Sauterelles.

— Ce sont pourtant d’honnêtes gens que ces laboureurs ! dit Henri Fauvet.

— Sans doute, dans les circonstances ordinaires. Mais, écoutez : voilà des centaines d’hommes qui, profitant du bon marché des billets, se rendent dans le Nord Ouest, pour aider à cultiver la terre. Ils apportent des provisions de bouche en quantités qu’ils croient suffisantes pour toute la durée du voyage. Cependant, voici qu’au bout de deux jours sur le train, ils s’aperçoivent qu’ils avaient mal calculé leur affaire et que les provisions vont leur manquer. Alors, s’ils se trouvent stationnés près d’un établissement ou d’un village quelconque ils ravagent tout pour se procurer de la nourriture. Ils dévastent les jardins, ils pénètrent dans les maisons, toujours en quête de provisions ; une nuée de sauterelles ne feraient pas plus de dégâts que ces laboureurs. Quel fléau ! et combien sont à plaindre les habitants de C… aujourd’hui ! Voyez, le Docteur Carrol nous fait des signes. Il a arrêté sa voiture ; allons le rejoindre !

Quand leur voiture fut à proximité de celle du médecin, celui-ci dit, s’adressant à Henri Fauvet :

— Je descends ici, visiter mon malade. Si vous le voulez bien. M. Fauvet, vous viendrez prendre place dans ma voiture… Nous sommes mal tombés pour notre promenade.

Henri Fauvet se rendit immédiatement au désir du médecin, car celui-ci venait de mettre pied à terre ; il portait, à la main, sa trousse de médecin.

Soudain, une dizaine de jeunes gens passèrent près de la voiture, et le dernier enleva prestement au Docteur Carrol, sa précieuse trousse.

— Au voleur ! cria-t-il.

Raymond, en un bond, eut sauté sur le sol, afin de courir après le voleur. Mais, un étranger s’était déjà élancé à la poursuite et bientôt, il eut atteint le larron. Ce fut, entr’eux, une lutte active, mais courte, car le jeune inconnu tordit le poignet du voleur et le sac tomba par terre. Ramassant l’objet, il vint le remettre au médecin.

— Merci, jeune homme, merci ! dit le Docteur Carrol. Vous venez de me rendre un immense service : je suis médecin, et cette trousse contient des instruments de valeur.

— Je m’en suis bien douté, répondit l’étranger, avec un sourire, qui découvrit des dents blanches et régulières.

— Si vous… commença le médecin. Mais le jeune homme était déjà parti.

— Tous ces laboureurs ne sont pas des voyous ! dit Marcelle à Raymond.

— Celui-là, toujours, ajouta Wanda, a accompli un acte vraiment héroïque, selon moi… Et, Marcelle, avez-vous vu comme il a un beau sourire ?

— Vous avez raison, sans doute, Mesdemoiselles, répondit Raymond, tous ces laboureurs ne sont pas des voyous ; nous venons d’en avoir la preuve. Mais… voyez… Voici une bande de scélérats qui, au moyen d’un bélier, vont enfoncer la porte de cette maison, à notre gauche. Entendez-vous ces cris, à l’intérieur ?

— Mon Dieu ! fit Wanda, en portant la main à son cœur. Une voix de femme !

La porte de la maison indiquée par Raymond était peu solide ; elle fut vite enfoncée. À l’intérieur, les cris redoublèrent.

— Allez-vous-en ! criait une voix.

Une femme passait près de la voiture dans laquelle étaient les deux jeunes filles et Raymond.

— Au secours ! cria-t elle. Ils vont la maltraiter ! La folle ! La folle !

Les cris de la folle parvenaient clairement à tous nos amis ; mais ni Henri Fauvet, ni Raymond Le Briel n’osaient abandonner, pour aller à son secours, les jeunes filles qu’ils étaient chargés de protéger.

— C’est le jeune étranger ! cria, soudain Wanda, en désignant de la main l’inconnu de tout à l’heure, qui venait de pénétrer dans la maison ravagée.

Le Docteur Carrol quittait son malade. Il arriva, en courant, à la voiture contenant Marcelle, Wanda et Raymond, et demanda :

— Qu’y a t-il ? D’où parviennent ces cris ?

— De cette maison, répondit Raymond. Il y a là une pauvre folle, que l’on maltraite parait-il.

Courant, le médecin arriva dans la maison qui lui avait été désignée. En entrant, il vit une femme, qu’un laboureur traînait par les cheveux, tandis que l’étranger de tantôt se battait comme dix, pour essayer de défendre la pauvre malheureuse.

— Ah ! Mon jeune ami ! s’écria le Docteur Carrol. Je m’en viens vous prêter main-forte !

L’inconnu avait réussi à faire lâcher prise à celui qui traînait la folle par ses cheveux, puis, un coup de poing qu’il lui appliqua sur le menton, l’envoya s’étendre, à l’une des extrémités de la pièce.

— Bravo ! Bravo ! cria le Docteur Carrol. Bien réussi, mon jeune ami ! Cette pauvre femme a peut-être besoin de mes soins, ajouta-t-il, en s’agenouillant auprès d’elle.

Mais un cri avait retenti ;

— Lionel !

Édith ! Ô ciel ! C’est Édith, ma femme bien-aimée ! cria, à son tour le médecin.

— Lionel ! Ô mon Lionel ! Je te revois enfin ! dit la pauvre femme.