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L’OMBRE DU BEFFROI

je prendrai soin d’elle. Et s’il vous plait m’envoyer Rose.

— Dolorès, murmura Henri Fauvet, je ne comprends pas… Marcelle… Gaétan… je…

— Moi non plus, je ne comprends pas, M. Fauvet, répondit Dolorès. Marcelle vous expliquera, sans doute… Mais, laissez-la ici, je vous prie ; on aura peut-être besoin de vous, en bas.

Henri Fauvet déposa un baiser sur le front de sa fille, puis il quitta la chambre, promettant à Dolorès de lui envoyer Rose.

— Mon Dieu, dit Dolorès, après le départ du père de Marcelle, quel mystère ! Elle aimait donc M. Le Briel, sans que personne ne s’en doutât ? continua-t-elle, en désignant la jeune fille, qui ne revenait pas de son évanouissement. C’est pour cela qu’elle remplissait le rôle de Marguerite avec tant de perfection, tout à l’heure… Et M. de Bienencour… Je ne le comprends pas, celui-là, non plus… Il devait être bien à bout de patience et de tolérance, pour se rendre coupable de meurtre… Car, il n’y a pas à en douter, ce coup d’épée, ce n’était pas un accident !… Quelle tragédie, Seigneur, et quel mystère !

Rose venait d’entrer dans la chambre.

— J’apporte du cognac, Mlle  Dolorès, dit-elle. Pauvre, pauvre Mlle  Marcelle ! ajouta-t-elle, éclatant en sanglots.

(Rose savait, ou, du moins, soupçonnait… bien des choses).

— Que se passe-t-il, en bas, Rose ? demanda Dolorès, tout en frictionnant de cognac les lèvres et le front de la malade.

— Je ne sais pas au juste, Mlle  Dolorès… Quand j’ai quitté le salon, on venait de transporter M. Le Briel sur le canapé. Le Docteur Carrol avait l’air très grave. Mme  de Bienencour, Mme  Carrol et les jeunes demoiselles pleuraient.

— Et… M. de Bienencour, Rose ?

— M. de Bienencour avait un air terriblement… hébété, Mlle  Dolorès. M. Archer l’a presque traîné, jusqu’à l’étude et l’a fait asseoir dans un fauteuil. Je suis allée porter du cognac dans l’étude, et j’ai trouvé que M. de Bienencour avait l’air… découragé… M. Archer aussi, d’ailleurs.

— C’est un malheur, un grand malheur ! dit Dolorès. Ah ! voilà que Marcelle ouvre les yeux enfin ! Chère Marcelle ! Chère petite sœur ! ajouta-t-elle, en s’agenouillant auprès du lit.

— M. Le Briel ?…

— Nous ne savons pas encore, Marcelle…

— Est-ce vrai qu’il est mort… et que c’est Gaétan qui l’a tué ?… Des nouvelles ! Je veux savoir !

— Écoute, Marcelle, fit Dolorès, je vais aller voir ce qui se passe, en bas et je viendrai te donner des nouvelles, aussitôt que je le pourrai. Rose va rester avec toi.

— Oui ! Oui ! Je veux savoir ! Pauvre, pauvre Raymond ! Et elle éclata en sanglots.

— À tout à l’heure donc, ma chérie ! dit Dolorès.

Ayant déposé un baiser sur le front de la jeune fille, elle quitta la chambre, laissant la malade aux soins dévouée de Rose.


CHAPITRE XI

CE QUI SE PASSAIT, EN BAS.


Aussitôt après le départ de Henri Fauvet, emportant dans ses bras sa fille évanouie, Gaston Archer fit remonter le rideau, et tous, précédés du Docteur Carrol et de Karl Markstien, se précipitèrent sur l’estrade.

Tandis que l’attention de tous était captivée par le blessé, Gaston entraîna Gaétan de Bienencour dans l’étude, puis, l’ayant fait asseoir, il sonna Rose et lui ordonna d’apporter du cognac, sans retard.

— Je suis un assassin, un assassin ! ne cessait de dire Gaétan, dont les yeux, injectés de sang, étaient remplis de frayeur.

— Tais-toi, je te prie, de Bienencour ! s’écria Gaston.

— Vois-tu, Archer, je n’en pouvais endurer davantage… Marcelle…

— Je comprends parfaitement !… Rien ne dit que M. Le Briel soit mort, d’ailleurs, fit Gaston. Dans tous les cas, je te conseille fortement de te taire. Crois-le, c’est en ami que je te parle, mon bon !

— Assassin ! Assassin ! ne cessait de répéter Gaétan.

Gaston essaya de tous les moyens pour distraire son ami, sans y réussir. Il aurait bien voulu se rendre au salon, afin d’avoir des nouvelles, mais il n’osait laisser Gaétan seul, dans l’état où il était.

Pendant ce temps, le Docteur Carrol, aidé de Karl, avait transporté le blessé sur le canapé du salon, après avoir prié tous les invités de se retirer dans la bibliothèque.

— Aussitôt que nous saurons à quoi nous en tenir sur l’état de M. Le Briel, leur avait-il dit, j’irai vous donner des nouvelles. Tout ce dont je puis vous assurer, dans le moment, c’est qu’il respire encore.

— Il n’est pas mort ! s’écrièrent-ils tous. Dieu en soit béni !

— Il n’est certainement pas mort ; mais, d’après l’examen superficiel que je viens de faire, il n’en vaut guère mieux, je crois, répondit le médecin. Pauvre garçon !

Retirés dans la bibliothèque, tous attendaient, avec grande anxiété, des nouvelles du blessé. Mme  de Bienencour était inconsolable. Mme  Carrol et les jeunes filles, elles aussi, pleuraient. Henri Fauvet, blanc comme un mort, marchait, de long en large, sans proférer un mot. Les jeunes gens, Réal, Léon et Fred, pâles et graves, essayaient de consoler leurs compagnes. Quel drame ! Quelle tragédie ! Et cette veillée était la dernière qu’on passerait ensemble, au Beffroi. Fallait-il qu’une visite si bien commencée finit si mal !

Soudain, Henri Fauvet quitta la bibliothèque et se dirigea vers son étude, croyant qu’elle était vide. Apercevant Gaétan et Gaston, il accourut vers le fiancé de Marcelle, et lui posant la main sur l’épaule, lui dit :

— Gaétan, il ne faut pas que vous preniez les choses tant à cœur. Personne ne songe à vous blâmer, croyez-le, pour l’accident qui vient d’arriver à M. Le Briel. En fin de compte, le coupable, dans cette affaire, c’est moi.

— Vous, M. Fauvet ! Vous ! s’écrièrent les deux jeunes gens.

— Oui, moi ! Je n’aurais pas dû faire venir ces épées de Montréal ; des fleurets mouchetés