Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

séparés, il y a deux ans, mon pauvre père et moi, en d’assez mauvais termes… Voyez-vous, Mademoiselle, si je n’arrive pas, cette nuit même, aux Peupliers, mon père va mourir… avec la pensée que je lui ai gardé rancune. Aidez-moi, s’il vous plaît à me lever et…

Belzimir revenait dans la salle, après être allé enlever du chemin les deux pierres qui y avaient été roulées et qui avaient été cause de l’accident : il fallait empêcher qu’une autre catastrophe se produisît. Le domestique avait, aussi, mis à l’abri Bianco, le cheval du blessé.

— Belzimir, dit Roxane, en désignant le jeune homme, il veut se lever et continuer son chemin. Or…

— Impossible, Monsieur ! dit Belzimir. Votre blessure saigne très abondamment, au moindre mouvement que vous faites, et, de plus, j’ai dû couper votre chaussure pour vous l’enlever, car vous vous êtes fait une entorse, en tombant de cheval et votre pied est déjà bien enflé. Vous ne pourriez vous tenir en selle.

— Mon père… Il se meurt… Il ne peut pas passer nuit, m’a écrit Adrien… Il va croire mon pauvre père…

— Monsieur, dit Roxane, je comprends votre situation ; elle est très pénible… Mais, écoutez : j’irai, moi, aux Peupliers ; je partirai à l’instant ! Je verrai votre père…

— Vous, Mademoiselle ! Oh ! non. La tempête… la forêt… les coyotes. Mille dangers…

— Vous n’y pensez pas, Mlle Roxane ! s’écria Belzimir. Seule sur la route, par ce temps épouvantable ! — Ô Mlle Roxane !…

— Je ne crains rien, et… laisse-moi faire, Belzimir.

— Impossible ! Impossible ! répéta le blessé.

— Votre cheval Bianco me portera jusqu’aux Peupliers… La tempête ne m’effraie pas… beaucoup, et les coyotes… Que dirai-je à votre père ?

— Ah ! c’est trop de bonté !… Votre domestique pourrait peut-être…

— Belzimir n’a jamais pu conduire un cheval de selle, répondit Roxane. Je vais partir… Mais, donnez-moi soit une lettre, soit un objet quelconque qui vous appartienne, afin que je puisse le montrer à votre père, comme preuve que je viens véritablement de la part de son fils.

— Dans la poche de mon pardessus… une lettre de notre fidèle domestique le vieil Adrien murmura le blessé.

Roxane trouva vite la lettre, qui était adressée comme suit : « M. Hugues de Vilnoble, Par messager privé. » Le jeune homme remit ensuite à la jeune fille une bague, qu’il enleva de son petit doigt : cette lettre et cette bague lui serviraient de passe-port aux Peupliers.

Après avoir causé assez longtemps avec Hugues de Vilnoble et pris ses dernières instructions, Roxane partit pour les Peupliers.

— Mademoiselle, vous êtes une héroïne ! s’était écrié Hugues, les yeux remplis d’admiration, au moment où la jeune fille le quittait, pour accomplir une mission qui n’était pas sans dangers.

Nous avons vu comment Roxane accomplit le voyage. Nous l’avons vue, arrivant aux Peupliers, et nous l’avons quittée au moment où elle se dirigeait vers la chambre de M. de Vilnoble précédée du vieil Adrien.


CHAPITRE V

LES PEUPLIERS


Roxane pénétra dans un vaste corridor, orné de candélabres, supportés par des statues de marbre et de bronze. Sur le plancher en bois franc verni, étaient de splendides peaux de buffles. Ce corridor s’étendait sur toute la profondeur de la maison et se terminait par une porte, qui devait s’ouvrir sur une galerie ou portique ayant vue sur le lac des Cris.

Deux autres corridors s’ouvraient, l’un à droite, l’autre à gauche, sur le corridor principal. C’est celui de droite que prit Roxane, précédée d’Adrien, puis on parvint dans une pièce d’assez grande dimension ; cette pièce, qui précédait la chambre à coucher de M. de Vilnoble, était meublée comme une étude.

— Mademoiselle, dit Adrien à Roxane veuillez vous asseoir un instant tandis que je vais préparer M. de Vilnoble à vous recevoir. Dans l’état où il est…

— C’est bien, répondit Roxane, allez !!

Adrien ne fut absent que quelques minutes.

— Ayez la bonté de me suivre, s’il vous plaît Mademoiselle, dit-il quand il fut de retour dans l’étude. Mon maître… combien il lui tarde d’avoir des nouvelles de M. Hugues !

Roxane pénétra dans la chambre de M. de Vilnoble. Couché sur un lit surmonté d’un ciel, elle vit un homme très grand et qui avait dû être fort corpulent : c’était M. de Vilnoble, père de Hugues. Il était évident qu’il n’en avait plus que pour peu d’heures à vivre. Son visage couleur de cire, ses yeux étranges, ses lèvres pâles disaient assez que la mort n’était pas bien éloignée.

— M. de Vilnoble, dit Adrien, en se penchant sur le malade, voici Mademoiselle…

— Monthy, ajouta Roxane.

Mlle Monthy… Elle vous apporte des nouvelles de M. Hugues. Puis le domestique se retira discrètement.

— Mon fils… dit le malade. Hugues…

— M. de Vilnoble, dit Roxane, M. Hugues, votre fils est chez moi dans le moment. Il accourait aux Peupliers, quand un accident…

— Un accident !

— Oui, un accident… qui n’aura pas de suites graves, je l’espère, j’en suis même convaincue. Il est tombé de cheval et il s’est blessé à la tête ; il s’est fait, aussi, une entorse au pied droit.

— Pauvre Hugues ! murmura M. de Vilnoble.

— Si vous saviez, M. de Vilnoble, comme il voulait continuer son chemin ! Je ne sais combien de fois il a essayé de se lever du canapé où mon domestique l’avait couché… Il désirait tant vous voir, car il craignait que vous n’eussiez l’impression qu’il vous gardait rancune, à propos d’un certain malentendu…

— D’où venez-vous, jeune fille ? demanda le malade.

— Je demeure aux Barrières-de-Péage, ré-