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de son fils ! Je me souviens si bien des dernières paroles qu’il prononça : « Ce testament est le seul valable, le seul… Souvenez-vous en tous » !

— Quand s’est-on aperçu de la disparition du dernier testament de mon père, Docteur ? demanda Hugues.

— Le lundi seulement, après les funérailles. Adrien, sûr de trouver le testament là où il l’avait placé, c’est-à-dire entre les oreillers du lit de ton père, pénétra dans la chambre à coucher, accompagné du notaire Champvert, de Mme Dussol et d’Yseult. Personne n’aurait pu franchir le seuil de cette chambre, tu sais, à cause des scellés qui y avaient été apposés, aussitôt après la mort de M. de Vilnoble.

— Pourtant, malgré les scellés, quelqu’un a pénétré dans cette chambre ! s’écria Roxane. Je jure, moi, que M. de Vilnoble n’aurait jamais eu la force de quitter son lit… Mais, je vous dis qu’il était à l’agonie, quand nous l’avons laissé, Adrien et moi !

— Pauvre Mlle  Monthy ! dit le médecin. Votre bonté, votre dévouement et… les dangers épouvantables que vous avez courus (car, je sais par quel sentier vous avez cheminé en allant et en revenant des Peupliers) méritaient un meilleur dénouement. Hugues, ajouta-t-il, ta fiancée t’a-t-elle dit qu’elle avait franchi la Forêt des Abîmes, sur le Sentier de la Mort ?

— Grand Dieu ! s’exclama Hugues. Ce n’est pas possible ! Roxane ! Roxane ! Vous ne me dites pas que vous avez couru de tels dangers !

— C’est vrai, Hugues ; mais je ne comprends pas comment il se fait que le Docteur Philibert sache cela… Je n’aime pas à me rappeler ces choses cependant ; c’était si terrible, si terrible ! Plus tard, je vous raconterai tout.

— Mes pauvres enfants, dit le Docteur Philibert, en se levant pour partir, je suis vraiment désolé d’être le porteur de si mauvaises nouvelles. Que voulez-vous cependant ! Il fallait bien que tu saches à quoi t’en tenir, Hugues et c’est moi qui me suis chargé de te dire tout. Après la joie, la peine ; c’est toujours ainsi en ce bas monde. Il y a un instant, vous étiez, tous deux, tout à la joie de vos fiançailles, maintenant…

— Je vous remercie, Docteur, de la peine que vous vous êtes donnée de venir ici, tout m’apprendre ; c’est l’acte d’un bon ami, et jamais je ne l’oublierai, dit Hugues. Et maintenant, puisque je suis un pauvre déshérité, je désire que vous soyez témoin d’une chose, Docteur… Roxane, reprit-il, en étreignant la jeune fille sur son cœur, quoique j’en aie le cœur brisé, je vous rends votre parole. Ma présente position ne me permet pas d’aspirer à votre main et ce serait faire acte de la plus grande indélicatesse que de…

— Je refuse de reprendre la parole donnée, Hugues, répondit Roxane, en souriant. Au lieu de nous marier à l’automne, comme nous l’avions résolu, nous nous marierons… plus tard, quand la chose sera possible : d’ici là, je suis et serai votre fiancée.

— Mon ange ! Ma bien-aimée ! murmura Hugues.

— Bravo, Mlle Monthy ! s’écria le médecin. Vous êtes deux nobles cœurs, mes enfants ! Ayez confiance en l’avenir… J’ai dit, tout à l’heure : « après la joie, la peine » ; mais on dit aussi : « Après la pluie, le beau temps ». Maintenant, Hugues, n’iras-tu pas voir ta tante Dussol ?

— J’aimerais à la voir, répondit le jeune homme. Peut-être…

— Il y a place dans ma voiture, si tu désires m’accompagner. Moi, je m’arrêterai chez moi, et Célestin ira te mener aux Peupliers, puis il te ramènera au Valgai ; cela te va-t-il ? En faisant ma tournée, demain ou après-demain je te ramènerai ici. Qu’en dis-tu ?

— C’est bien aimable à vous de me faire cette offre, Docteur, et je l’accepte de grand cœur. Qu’en pensez-vous, Roxane ?

— Vous faites bien d’aller voir votre tante, Hugues, répondit la jeune fille.

À ce moment, Rita entra dans la salle.

— Petite Rita, dit Hugues, je pars, avec le Docteur Philibert.

— Oh ! Non ! Non ! dit l’enfant, qui se mit à pleurer.

— Jusqu’à demain ou après-demain seulement.

— N’aimerais-tu pas à venir passer une journée ou deux au Valgai, petite Rita ? demanda le médecin.

— Si Roxane voulait me le permettre, j’aimerais cela beaucoup, beaucoup ! répondit l’enfant.

— Laissez-la donc nous accompagner, Mlle Monthy ! dit le Docteur Philibert. Ça lui fera une jolie promenade, ça sera pour elle en même temps une agréable distraction. Vous n’aurez pas à vous inquiéter de votre petite sœur, car ma vieille ménagère Euphémie prendra bien soin d’elle.

— Ah ! Que j’aimerais cela aller me promener chez le bon Docteur ! s’écria Rita.

Et Roxane, ayant donné son consentement, le Docteur Philibert quitta les Barrières-de-Péage, emmenant avec lui Rita et Hugues.


CHAPITRE XVII

LE SECRET DE MADAME DUSSOL


Malgré la nouvelle que venait de lui donner le Docteur Philibert, nouvelle qui remettait à une époque très éloignée sans doute, son mariage avec sa chère Roxane, Hugues ne se laissait pas aller à la tristesse ; il fut un gai compagnon durant le voyage des Barrières-de-Péage au Valgai, où il laissa le médecin et Rita, s’acheminant lui-même vers les Peupliers.

— Vais-je vous attendre, Monsieur ? lui demanda Célestin.

— Oui, attendez-moi ; je ne serai pas bien longtemps.

Le domestique qui vint lui ouvrir la porte était un étranger pour Hugues.

— Madame Dussol est-elle ici ?

— Oui, Monsieur, répondit le domestique. Mais Mme Dussol est légèrement indisposée et elle ne reçoit personne.

— Elle me recevra moi, dit Hugues. Tenez, mon brave, portez-lui cette carte à Mme Dussol : je vous attendrai ici.