Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques gouttes suffiraient pour tuer un homme. Roxane, alors, lui raconta ce qui s’était passé durant la nuit, et le médecin pâlit.

— Oui, il y a eu tentative d’empoisonnement ; mais je ne crois pas qu’Yseult renouvelle la tentative.

— Je prendrai des précautions en conséquence, Docteur ! affirma Roxane.

— Oui, n’est-ce pas ? Pauvre Mlle Monthy, vous êtes en danger ici, je vous l’ai dit déjà… Mais, puis-je vous prier de ne pas parler de cette malheureuse affaire à qui que soit ?… Ce verre, recouvrez-le d’un papier et gardez-le comme preuve… pour le cas où…

— Ne craignez pas que j’en souffle mot, Docteur ! promit Roxane. Même à Yseult, car elle est la fille de Mme Dussol, cette bonne Mme Dussol que je ne voudrais pas voir malheureuse à cause de sa fille.

— Merci, Mlle Monthy, merci ! dit le médecin. Si je vous demande le silence, reprit-il en hésitant un peu, c’est que Mme Dussol est devenue Mme Philibert, depuis hier et…

— Vraiment ! s’écria Roxane. Oh ! Quelle bonne nouvelle, cher Docteur ! Vous étiez faits l’un pour l’autre d’ailleurs ; vous êtes les deux êtres les meilleurs, les plus parfaits que je connaisse !

— Après Hugues, dit le médecin, en riant, et la jeune fille rougit légèrement.

— Docteur, combien il me tarde de pouvoir reprendre ma personnalité, afin d’avoir le droit de féliciter Mme Dussol (pardon, Mme Philibert) comme je vous félicite vous-même !

— Merci, chère enfant ! répondit le médecin, des larmes dans les yeux. Puis, au moment de partir, il murmura : Au revoir ! Courage et prudence !

Ce midi-là, Roxane reçut une longue lettre de Lucie, dans laquelle elle lui annonçait le mariage du Docteur Philibert et de Mme Dussol.

Le lendemain, Champvert put s’asseoir dans un fauteuil, et trois jours plus tard, il reprenait sa vie et ses occupations ordinaires.

Yseult passait la plus grande partie du temps dans son boudoir, à ne rien faire. La nouvelle du mariage de sa mère ne sembla l’affecter nullement. De son mari elle ne faisait aucun cas. Mais, souvent, ses yeux se fixaient avec une persistance singulière sur Mme Louvier, et on aurait pu lire alors sur le visage de la jeune femme une expression de perplexité… ou de frayeur.


CHAPITRE XIV

YSEULT A SES NERFS


Roxane avait réintégré sa chambre à coucher, mais elle gardait Souple-Échine avec elle. Pour une raison ou pour une autre, elle n’eut pu se décider de coucher seule dans l’aile gauche. Depuis les derniers évènements, elle était devenue nerveuse ; il lui semblait toujours que l’obscurité était peuplée d’ombres blanches et elle croyait voir ces ombres glisser sur le plancher et s’approcher de son lit.

Souple-Échine n’était qu’un enfant, il est vrai, mais mieux valait la compagnie d’un enfant que la complète solitude. Yseult s’apercevait-elle de ces dispositions que Mme Louvier avait prises, sans la consulter, sans lui en demander permission ? Peut-être. Cependant, elle n’en faisait rien voir.

Près de huit jours s’écoulèrent. Roxane avait, plus d’une fois, essayé d’ouvrir le coffre-fort de Champvert, sans y réussir, et son découragement était immense. Elle en avait assez des Peupliers et elle commençait à s’ennuyer beaucoup de Rita, de Lucie et de son cher foyer.

— Je sais ce que je vais faire, se dit-elle, un soir. Je demanderai quelques jours de congé, que j’irai passer chez-nous. Ensuite, je reviendrai essayer encore d’ouvrir le coffre-fort. Je désire consulter le Docteur Philibert, d’ailleurs ; il faut que je sache ce qu’il me restera à faire, pour le cas où je ne parviendrais pas à m’emparer du testament… Oui demain soir, je demanderai à Mme Champvert la permission de m’absenter et, ajouta-t-elle, avec un sourire, je ne crois pas qu’elle me la refuse.

Le lendemain après-midi, Roxane se dirigeait vers la bibliothèque, quand elle entendit Souple-Échine dire à Mme Faure, qui venait d’arriver :

Mme  Prévert demande que vous vous rendiez dans son fâchoir, parce qu’elle n’est pas disposée et ne peut se rendre au salon.

Ce qui pouvait se traduire ainsi :

Mme  Champvert demande que vous vous rendiez dans son boudoir, parce qu’elle est indisposée et ne peut pas se rendre au salon.

— Est-il comique un peu ce petit sauvage ! s’écria Mme Faure, qui suivit Souple-Échine au boudoir d’Yseult.

Roxane ne resta qu’une dizaine de minutes dans la bibliothèque ; elle fut donc étonnée, en retournant dans sa chambre, de rencontrer Mme Faure, que Souple-Échine conduisait à la porte de sortie.

— Ah ! Mme Louvier ! dit Mme Faure. Je viens de rendre visite à Mme Champvert ; elle m’a fait l’effet d’une femme malade.

— Malade ! s’écria Roxane. Pourtant…

— Bien, pas malade exactement peut-être, mais très irritable, très nerveuse… Espérons que ce ne sera rien… que des nerfs. Au revoir, Mme Louvier !

Roxane, assise dans sa chambre, à repriser une nappe, fut grandement surprise de voir arriver Yseult tout à coup. Elle était si pâle, ses yeux étaient remplis d’une telle frayeur, que la jeune femme eut pitié d’elle.

Mme  Louvier, dit Yseult, avez-vous vu Mme Faure sortir d’ici, tout à l’heure ?

— Oui, Madame, répondit Roxane.

— Cette femme est folle, je crois, reprit Yseult. Imaginez-vous qu’elle est venue ici, tout droit de chez sa nièce, qui vient de relever des fièvres typhoïdes.

— Oui ? fit Roxane.

— Comme vous dites cela !  ! cria la jeune femme. Ne comprenez-vous pas le danger qu’il y avait pour moi, au contact de cette femme ?

Mme  Champvert, répondit la jeune fille,