Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’auront plus que toi pour protecteur, dorénavant… Sers-les fidèlement, jusqu’à la mort…

— Je le jure, mon maître ! répondit Belzimir ! en éclatant en sanglots.

— Roxane ! Rita !

Ces deux noms, qui lui étaient si chers, furent les derniers que prononça le mourant. Bientôt, il tomba en agonie, puis, au moment où le soleil allait apparaître à l’horizon, Philippe Monthy, le fidèle gardien de la barrière de péage, rendait son âme à Dieu.


CHAPITRE III

L’ACCIDENT


Il y avait trois mois que Philippe Monthy était mort. Roxane, maintenant avait la garde de la barrière de péage, aidée de Belzimir. Roxane gardait la barrière durant le jour et Belzimir, durant la nuit ; couché dans la salle d’entrée, le domestique se tenait prêt à accourir, au passage d’un piéton, d’un cheval ou d’une voiture. Point n’était besoin d’avoir l’œil et l’oreille constamment au guet pour la garde de la barrière, car Philippe Monthy avait installé un timbre, qui résonnait, aussitôt qu’un piéton ou un cheval posait le pied sur les premiers madriers du pont, soit d’un côté, soit de l’autre. Ce timbre, placé dans la salle d’entrée, avertissait fidèlement de toute approche ; de cette manière, le gardien de nuit pouvait dormir, quitte à s’éveiller chaque fois que résonnait le timbre.

La vie s’écoulait douce, mais peut-être un tant soit peu monotone aux Barrières-de-Péage. Sans voisin que l’on pouvait visiter et dont on pouvait recevoir la visite, il n’y avait pas beaucoup de variété. Heureusement, Roxane recevait plusieurs revues et journaux ; ces revues et journaux, c’est le vieux facteur rural qui les lui apportait.

C’était toujours un évènement que l’arrivée du vieux facteur, le père Noé, et plus souvent qu’autrement, on le gardait à souper et à coucher. Le père Noé ressentait une grande reconnaissance envers Roxane et Rita pour leur généreuse hospitalité ; aussi, était-il, avec Belzimir, le meilleur ami qu’eussent cette jeune fille et cette enfant.

L’avant-midi, Roxane vaquait aux soins du ménage, tout en ayant l’œil à la barrière. L’après-midi, durant la belle saison, elle et Rita s’asseyaient dans leur parterre ; elles lisaient, ou bien Roxane brodait, ou bien encore elle montrait à Rita comment confectionner du linge pour ses poupées.

La veillée se passait comme avant la mort de Philippe Monthy, car Roxane n’avait pu se décider à fermer son piano et à obliger Rita d’enfermer sa mandoline dans son étui. C’eut été trop triste, trop lugubre, de longues veillées à ne rien faire, excepté la lecture.

Parfois, quand Belzimir n’était pas occupé dehors, il donnait congé à Roxane et il gardait lui-même la barrière de péage. Alors, les deux sœurs faisaient atteler Pompon à leur voiture à deux roues et elles allaient se promener, tout l’après-midi. Ou bien, à bord de leur chaloupe Le Cygne elles naviguaient sur la rivière des Cris, s’arrêtant aux endroits les plus pittoresques pour faire la pêche, ou bien passant une heure sur leur ferme, dans la hutte que Philippe Monthy y avait construite, et qu’on désignait du nom de Mon Refuge.

Ai-je dit qu’elle était monotone la vie aux Barrières-de-Péage ?… Les jours de pluie et de mauvais temps, ce n’était pas gai assurément ; privées de sortir, Roxane et Rita se voyaient obligées d’inventer des moyens de distractions. Elles y réussissaient, et les jours sombres passaient tout comme ceux qu’égayait le soleil.

Un soir, après le souper, Roxane se mit au piano et Rita prit sa mandoline. Roxane avait composé une mélodie, la veille, et elle désirait vivement l’entendre jouer sur la mandoline tandis qu’elle l’accompagnerait au piano. Mais, tout annonçait la tempête, et Rita, que le vent effrayait beaucoup, ne parvenait pas à jouer.

— Entends-tu le vent, Roxane ? dit-elle. J’ai peur. J’ai bien peur !

— Ne crains rien, ma chérie, répondit Roxane. Ce n’est rien, crois-moi. Le vent c’est le souffle de Dieu, petite sœur ; il ne faut pas le craindre ainsi. Joue plutôt ce…

— J’ai trop peur ! Il vente si fort ; peut-être qu’il va tonner aussi ! pleura l’enfant. Penses-tu qu’il va tonner, Roxane ?

— Je ne le crois pas, mon aimée… Tiens, essaie donc de jouer cette partie de ma mélodie ; tu vas trouver cela joli, joli !

Le vent se mit à hurler, soudain, et tout craqua aux Barrières-de-Péage. Rita pâlit, puis elle se mit à sangloter.

— Si tu veux, Rita, dit Roxane, nous allons monter dans notre chambre toutes deux, et je te mettrai au lit.

— Tu ne me quitteras pas, Roxane ?

— Mais, non ! Quand tu seras endormie, je m’installerai non loin de toi et je lirai, jusqu’à ce que le sommeil me prenne, à mon tour. Viens !

À ce moment, Belzimir entra dans la salle.

— Ô Belzimir, demanda Rita, penses-tu qu’il va tonner ?

— Non ! Non ! Mlle Rita ! répondit Belzimir. Voyez-vous, le vent souffle du nord… et le vent du nord, Mlle Rita… n’est pas favorable au tonnerre.

Pauvre Belzimir ! Inutile de dire qu’il ne s’y connaissait guère en fait de direction du vent ; que lui importait d’ailleurs, d’où soufflait le vent ? Qu’il soufflât du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest, ça lui était bien égal. Quant à savoir si le vent du nord — à supposer qu’il vînt du nord — éloignait le tonnerre, eh ! bien s’il parlait ainsi, c’était pour essayer de rassurer la pauvre petite infirme.

Roxane et Rita montèrent dans leur chambre. Belzimir, s’installant dans la cuisine, se mit à fumer sa pipe. Le vent secouait les châssis et les portes des Barrières-de-Péage ; ce serait une épouvantable nuit !

— Si, au moins, la petite peut dormir, malgré tout ce branle-bas ! se dit Belzimir. Pauvre chère Mlle Rita !

Roxane, ayant déshabillé Rita et l’ayant mise au lit, s’assit auprès d’elle et lui raconta des contes, afin de la distraire un peu, si