Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/60

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je regrette de vous voir si grandement effrayée pour si peu. Les fièvres ne se prennent pas ainsi, d’ailleurs. Permettez-moi de vous dire que vous ne faites qu’entretenir cette crainte morbide, en restant continuellement seule, dans votre boudoir comme vous le faites. Si j’osais vous donner un conseil, je vous dirais d’ordonner au cocher d’atteler, puis d’aller faire une longue promenade en voiture. De la distraction ; voilà ce qu’il vous faut.

— Vous avez peut-être raison, dit Yseult, et je vais suivre votre conseil Mme Louvier, ajouta-t-elle soudain et sans aucun à propos, quel âge avez-vous ?

— Mais… balbutia Roxane, qui avait été loin de s’attendre à cette question.

— C’est que, si ce n’était de vos cheveux gris et de ces lunettes fumées, vous auriez, je crois, une apparence bien jeune, dit Yseult. Vous avez dû être fort belle, Mme Louvier ; vos traits sont parfaits… vous le savez, sans doute ?… Eh ! bien, je vais suivre vos conseils et essayer d’oublier la visite de Mme Faure, par des distractions.

Pourtant, elle ne sortit pas. Elle s’enferma dans son boudoir et se livra à d’assez pitoyables réflexions. La visite de Mme Faure l’avait excessivement effrayée, pauvre Yseult, et à force de se livrer à la peur, elle finirait sans doute par devenir réellement malade.

Vers les huit heures du soir, Roxane se disposait à se rendre dans le boudoir d’Yseult, afin de lui demander la permission de s’absenter pour quelques jours, quand arriva Sophranie, qui lui dit :

Mme  Louvier. Madame vous prie de vous rendre immédiatement à son boudoir.

— Y a-t-il quelque chose d’extraordinaire, Sophranie ? demanda Roxane.

— Je ne sais pas, Mme Louvier… Madame a l’air d’être fiévreuse et fort agitée.

— J’y vais immédiatement, Sophranie.

En entrant dans le boudoir, Roxane aperçut Yseult qui, couchée sur un canapé, se tordait les mains. La jeune femme était bien changée, et c’est en sanglotant qu’elle dit :

— Oh ! Mme  Louvier, je suis malade, si malade ! Je suis prise des fièvres typhoïdes, je le sais ! J’ai la fièvre, j’ai mal à la tête et à la gorge… Oh ! bonne Mme Louvier, ne m’abandonnez pas ! Restez auprès de moi ! Je vais mourir… et j’ai peur, si peur !

— Chère Madame, répondit Roxane, je venais justement vous prier de me permettre de m’absenter pour quelques jours ; mais, puisque vous vous sentez indisposée, je resterai ici et vous soignerai… Pourquoi ne faites-vous pas venir le médecin ?

— Le médecin ! Non ! Non ! Il va me dire que j’ai les fièvres typhoïdes et j’en mourrai de peur ! Que j’ai soif ! Je crois que j’ai bu près d’un gallon d’eau depuis le midi ; je suis toujours si altérée ! Ne partez pas, Mme Louvier, ne partez pas !

— Je vous l’ai dit, je vais rester, et je vous soignerai de mon mieux. Pourtant, que voulez-vous que je fasse, quand vous vous agitez ainsi, Mme Champvert ?… Tenez, voici de la limonade que je viens de préparer ; les citrons chassent la fièvre, vous savez… Comprenez bien, cependant, qu’il y a une vaste différence entre avoir un peu de fièvre et être atteinte des fièvres. Je suis sûre que demain, vous serez complètement remise… si vous voulez bien suivre mes conseils et essayer de vous calmer un peu.

La porte du boudoir venait d’être brusquement ouverte et Champvert entra dans la chambre. S’approchant du canapé, il dit à Yseult :

— On me dit que tu es malade ?

— Va-t-en ! Va-t-en ! cria Yseult, en se dressant sur son canapé.

— Ma chère… commença Champvert.

— Va-t-en ! cria, encore une fois sa femme, en se tordant les mains et en jetant sur son mari un regard d’indicible haine.

— Tu es folle, je crois, ma pauvre Yseult ! Peux-tu faire de pareilles scènes devant la ménagère ! dit le notaire, en désignant Roxane, qui assistait, muette et effrayée, à cette algarade.

— Va-t-en ! répéta Yseult.

Champvert, haussant les épaules, sortit du boudoir.

Roxane se dit qu’il fallait empêcher que semblable chose se renouvelât, et aussitôt qu’Yseult fut un peu plus calme, elle la laissa aux soins de Sophranie et alla frapper à la porte de l’étude.

— M. Champvert, lui dit-elle, Mme Champvert est malade, bien malade, je crois.

— Oui… ? Qu’a-t-elle ?

— Je crains beaucoup qu’elle soit atteinte des fièvres typhoïdes.

— Hein ! fit Champvert, qui laissa choir sur le plancher un livre qu’il tenait à la main.

— Si vous me le permettez, je vais faire venir le médecin.

Puis, sans attendre de réponse, et sûre maintenant que le notaire n’approcherait plus du boudoir, tant il avait peur des fièvres typhoïdes, Roxane alla donner au cocher l’ordre de se rendre au Valgai, chercher le Docteur Philibert, en toute hâte.


CHAPITRE XV

PAUVRE YSEULT !


Oui, Yseult était atteinte des fièvres typhoïdes ; le Docteur Philibert en avertit immédiatement Roxane. Inutile de dire qu’il cacha la chose à la malade ; elle en serait probablement morte de frayeur.

— Je ne vous cacherai pas, Mlle Monthy, avait dit le médecin, que c’est un cas sérieux, très sérieux même. Il y a du danger pour vous et je vous conseillerais fortement de retourner, sans retard aux Barrières-de-Péage…

— Je n’abandonnerai pas Mme Champvert, Docteur. Pauvre, femme !

— Il va falloir que j’avertisse ma femme et elle voudra venir soigner sa fille. Je l’amènerai demain avant-midi, quand je viendrai faire ma visite professionnelle à la malade ; pour me servir d’une expression populaire, « elle couvait cette maladie depuis assez longtemps ».

— Elle avait tant peur des fièvres typhoïdes ! s’écria Roxane. Y a-t-il du danger