Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/61

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qu’elle en meure ?

— Il y en a certainement !… Vous remarquerez que, ainsi qu’il en avait été de ce pauvre Justin, la maladie a fait de rapide progrès en bien peu de temps. Or, Justin, je n’ai pu le sauver…

— Mon Dieu ! fit la jeune fille.

— Ma femme viendra demain ; elle vous aidera à soigner Yseult.

— Docteur, demanda Roxane, Mme Philibert sait-elle que… Mme Louvier est Roxane Monthy ?

— Non, elle ne le sait pas. Quoiqu’il m’en coûtât beaucoup d’avoir un secret pour elle, je ne lui ai rien dit. D’ailleurs, ma chère enfant, ce secret n’est pas le mien, mais le vôtre… Eh ! bien, à demain ! J’espère qu’Yseult passera une assez bonne nuit.

Mais les espérances du Docteur Philibert ne se réalisèrent pas, car la malade passa une mauvaise nuit. Alternant avec ses crises de fièvre et de délire, survenaient des sortes de coma, ou bien elle se tordait les mains en sanglotant. Pauvre Yseult ! Roxane sentait ses yeux se remplir de larmes, à la voir souffrir ainsi.

Le jour commençait à se faire quand la jeune femme, ouvrant grands les yeux, fit signe à Roxane de s’approcher de son lit.

Mme  Louvier, dit-elle, je suis bien malade, n’est-ce pas ?

— J’espère que non, chère Mme Champvert !

— Ah ! oui, je suis bien malade, soupira Yseult, et, j’ai peur !… Mme Louvier, je voudrais savoir quelque chose…

— Qu’est-ce ? demanda Roxane.

— Vous… savez, n’est-ce pas ? fit Yseult en fixant sur la jeune fille des yeux scrutateurs. Vous m’avez vue… cette nuit où… quand mon mari était malade et que je…

— Oui, je vous ai vue, Mme Champvert, et je remercierai Dieu toute ma vie de m’avoir rendue témoin de ce que méditiez, puisque j’ai pu, ainsi vous empêcher de commettre un crime.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! fit la malade, en cachant son visage dans ses mains tremblantes. Mais, Mme Louvier, si vous connaissiez les raisons que j’avais, et que j’ai encore de haïr mon mari…

— Rien ne peut justifier ni même excuser le crime, Mme Champvert, répondit Roxane.

— Pourtant, cet homme, mon mari, il m’aurait tuée, une nuit, s’il en avait eu le temps…

— Je sais ! J’étais-là, dans ce coin de votre chambre, cette nuit-là, et j’ai vu tout ce qui se passait dans votre boudoir.

— Vous, Mme Louvier ! Vous !

— Oui, moi. J’ai vu votre mari appuyer sur votre front le canon d’un pistolet… Je l’ai entendu compter Un, puis Deux…

— Alors ?… Dites-moi !

— Alors ?… Mais, je l’ai visé à l’épaule votre mari, et j’ai tiré le coup de revolver qui…

— Qui m’a sauvé la vie, acheva Yseult. Ciel ! Que j’étais loin de me douter que c’était vous qui…

— Ne parlez plus maintenant, Mme Champvert, dit Roxane ; le médecin a défendu de vous laisser parler.

— Pourtant, je veux vous dire merci, Mme Louvier… Plus tard, vous m’expliquerez… comment vous aviez découvert… ce qui se passait entre mon mari et moi… cette nuit-là.

— Oui, je vous expliquerai tout, aussitôt que vous serez forte pour m’écouter. Pour le moment, buvez cette potion calmante ; vous êtes presque complètement épuisée.

— Encore merci, Mme Louvier ! dit Yseult. Je saurai reconnaître… un jour ce que vous avez fait… pour moi !… Puis elle ferma les yeux et s’endormit.

Quand le Docteur Philibert arriva aux Peupliers, vers les neuf heures, il était accompagné de sa femme. Il laissa Mme Philibert dans le salon et se rendit seul à la chambre d’Yseult. Il frappa à la porte et Roxane vint lui ouvrir.

— Comment va la malade ? demanda le médecin.

— Mal, répondit la jeune fille. Elle n’a pas sa connaissance ; elle ne reconnaît personne.

— Vraiment ! s’écria le médecin. Ma femme est dans le salon, reprit-il ; je voulais préparer Yseult à voir sa mère…

— Et c’est Mme Philibert qu’il va falloir préparer à voir sa fille… dans l’état où elle est. Voyez, Docteur !

Le Docteur Philibert fut grandement étonné de voir l’état dans lequel était la malade : changée à n’être plus reconnaissable, les yeux fixes, qui semblaient ne rien voir, elle faisait bien pitié. Le seul mouvement qu’elle fît était de se tordre convulsivement les mains. Pauvre, pauvre Yseult ! Elle qui avait tant craint les fièvres typhoïdes, elle en était atteinte, et si gravement, que le médecin eut un soupir de découragement, en l’apercevant.

Vers les deux heures de l’après-midi, cependant, elle reprit connaissance. Elle reconnut sa mère, qui était penchée sur elle, elle reconnut le médecin, elle reconnut Roxane.

— Mère, murmura-t-elle, est-ce que je vais mourir ?… J’ai peur, mère, bien peur !

— Yseult, chère chère enfant ! dit Mme Philibert, en éclatant en sanglots. Tu es mieux, ma pauvre chérie, n’est-ce pas ?

— Mieux ! fit Yseult, avec un sourire, plus triste que des larmes.

— Courage, Yseult ! dit le Docteur Philibert. Nous allons vous guérir avec l’aide de Dieu.

Mme  Louvier, reprit la jeune femme, je veux… un prêtre… tout de suite ! Un prêtre ! Un prêtre !

— Un prêtre, chère enfant ? demanda Mme Philibert. Nous allons envoyer chercher le Père Ledoux, tout de suite. Mme Louvier, ajouta-t-elle, allez donc donner au cocher l’ordre d’atteler ; qu’il aille chercher le prêtre, sans perdre un instant !

— Mais il vous faudra être patiente, Yseult, disait le Docteur Philibert, au moment où Roxane quittait la chambre. Le Père Ledoux demeure à dix-huit milles d’ici. C’est trente-six milles, aller et retour ; il ne pourra pas être ici avant neuf ou dix heures ce soir.

— Docteur, est-ce que je vais mourir ? Dites-moi la vérité !

— J’espère que non, pauvre enfant ! ré-