Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/87

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même, à donner plus ou moins d’énergie à ce désir ; ainsi l’illusion naquit de touttes parts. Les vêtements dérobèrent, presque en entier, la femme aux yeux de l’homme. Or, il n’est pas facile à l’œil de percer les plis d’une draperie pour reconnoître les vraies formes qu’elle cache ; on ne parvient pas tout d’un coup à juger par la vue de la résistance que le toucher doit éprouver ; cet art demande quelques expériences et les hommes les plus exercés s’y trompent encore quelquefois ; la multitude s’attacha donc à considérer la figure qu’elle voyoit et s’accoutuma à juger le reste d’après elle. Alors la figure, qui jusqu’alors n’avoit dû être qu’une foible partie de la beauté[1] des femmes, devint partout leur principal ornement ; alors l’esprit de l’homme forma ses sistèmes sur la beauté, et, ne pouvant connoître les loix de la nature, il voulut la soumettre aux siennes. Mais ce nouveau code fut sujet, comme tous les autres, aux variations des lieux et des temps et la Vénus, qui gagna son procès en Aulide, l’eût vraisemblablement perdu à mille lieües de là. Les raisons de ces contradictions ne sont pas difficiles à trouver ; l’homme ne connoît les objets que par l’impression qu’il en reçoit ; la beauté n’agit sur lui que par le souvenir ; elle n’existe pas pour celui qui n’a eü aucune idée de jouissance ; de là vient, pour le dire en passant, que l’homme ou la femme, qui veulent plaire encore, après qu’il sont flétris, recherchent de

  1. Si l’on se donne la peine d’examiner les peuples dont les femmes vont encore nues ou presque nues, on se convaincra de la vérité de cette assertion.
    Note de Ch. de L.