Page:Lafargue - Le Droit à la paresse.djvu/22

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ses bottines pour leurs chers petits pieds froids et humides… Vêtues de pied en cap, et fringantes, elles vous feront plaisir à contempler. Allons, pas de tergiversations ; — vous êtes ami de l’humanité, n’est-ce pas, et chrétien par dessus le marché ? — Mettez à la disposition de vos ouvrières la fortune qu’elles vous ont édifiée avec la chair de leur chair. — Vous êtes ami du commerce ? — Facilitez la circulation des marchandises ; voici des consommateurs tout trouvés ; ouvrez-leur des crédits illimités. Vous êtes bien obligé d’en faire à des négociants que vous ne connaissez ni d’Adam ni d’Ève, qui ne vous ont rien donné, pas même un verre d’eau. Vos ouvrières s’acquitteront comme elles le pourront ; si, au jour de l’échéance, elles gambettisent et laissent protester leur signature, vous les mettrez en faillite, et si elles n’ont rien à saisir, vous exigerez qu’elles vous paient en prières : elles vous enverront en paradis, mieux que vos sacs noirs, au nez gorgé de tabac. »

Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale des produits et un gaudissement universel, les ouvriers, crevant la faim, s’en vont battre de leur tête les portes de l’atelier. Avec des figures hâves, des corps amaigris, des discours piteux, ils assaillent les fabricants : « Bon M. Chagot, doux M. Schneider, donnez-nous du travail, ce n’est pas la faim, mais la passion du travail qui nous tourmente ! » Et ces misérables qui ont à peine la force de se tenir debout, vendent douze et quatorze heures de travail deux fois moins cher que lorsqu’ils avaient du pain sur la planche. Et les philanthropes de l’in-