Page:Lafargue - Le Droit à la paresse.djvu/37

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des bouteilles de schnaps et des bibles pour connaître les vertus de la civilisation.

Mais tout est impuissant : bourgeois qui s’empiffrent, classe domestique qui dépasse la classe productive, nations étrangères et barbares que l’on engorge de marchandises européennes ; rien, rien ne peut arriver à écouler les montagnes de produits qui s’entassent plus hautes et plus énormes que les pyramides d’Égypte : la productivité des ouvriers européens défie toute consommation, tout gaspillage. Les fabricants, affolés, ne savent plus où donner de la tête ; ils ne peuvent plus trouver de matière première pour satisfaire la passion désordonnée, dépravée, de leurs ouvriers pour le travail. Dans nos départements lainiers, on effiloche les chiffons souillés et à demi pourris, on en fait des draps dits de renaissance, qui durent ce que durent les promesses électorales ; à Lyon, au lieu de laisser à la fibre soyeuse sa simplicité et sa souplesse naturelle, on la surcharge de sels minéraux qui, en lui ajoutant du poids, la rendent friable et de peu d’usage. Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l’écoulement et en abréger l’existence. Notre époque sera appelée l’âge de la falsification, comme les premières époques de l’humanité ont reçu les noms d’âge de pierre, d’âge de bronze, du caractère de leur production. Des ignorants accusent de fraude nos pieux industriels, tandis qu’en réalité la pensée qui les anime est de fournir du travail aux ouvriers, qui ne peuvent se résigner à vivre les bras croisés. Ces falsifications, qui pour unique mobile ont un sentiment humanitaire, mais qui rapportent de superbes profits aux fabri-