Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/88

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berceau de l’enfant qui va naître, ils bâtirent les villes de la Méditerranée, ils créèrent les cours ducales et royales de l’Eu­rope, pour la venue du Dieu-Capital.


Je vous le dis en vérité, la courtisane est plus chère à notre Dieu qu’au fi­nancier l’argent de l’actionnaire; elle est sa fille très aimée, celle qui de tou­tes les femmes obéit le plus docilement à sa volonté. La courtisane trafique avec ce qu’on ne peut ni peser, ni mesurer, avec la chose immatérielle qui échappe aux lois sacrées de l’échange: elle vend l’amour, comme l’épicier débite le savon et la chandelle, comme le poète détaille l’idéal. Mais en ven­dant l’amour, la courtisane se vend; elle donne au sexe de la femme une valeur, son sexe participe alors aux qualités de notre Dieu, il devient une par­celle de Dieu, il est Capital. La courtisane incarne Dieu.


Vous êtes plus naïfs que les veaux paissant dans les prairies, ô poètes, ô dramaturges, ô romanciers, vous qui injuriez la courtisane parce qu’elle n’ac­corde l’usage de son corps que contre argent comptant, vous qui la traînez dans la boue parce qu’elle cote à un prix élevé ses tendresses. Vous voulez donc qu’elle profane la parcelle divine qui est son corps, qu’elle le rende plus vil que les pierres du chemin? Vous, moralistes, qui êtes des porcheries à en­grais­ser les vices, vous lui reprochez de préférer l’or fin au cœur brûlant d’amour. Philosophes obtus, vous prenez donc la courtisane pour un épervier se gorgeant de chair pantelante? Vous tous que l’avarice étouffe, croyez-vous donc que la courtisane