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MOLIÈRE.

Quoiqu’en dise J.-J. Weiss, un peu misogyne ce jour-là, dans ses fines et profondes causeries sur le poète, les douces et fières silhouettes de femmes dans le genre d’Élise et d’Éliante ne sont point rares chez Molière, dont la triomphante et débordante gaîté fait trop oublier la sensibilité délicate. Au contraire on les rencontre un peu partout, même dans les comédies bouffonnes, surtout dans les comédies-ballets où le goût de la sentimentalité romanesque que Molière n’avait jamais perdu et qui règne encore à la cour, trouve plus libre carrière. N’a-t-il pas, dans Don Juan, avec la touchante figure de l’Espagnole Dona Elvire, donné le portrait le plus complet de ces grandes dames passionnées et pieuses, d’une dignité si hautaine et si tendre dans les faiblesses de l’amour, les sacrifices du devoir, les retours vers la vertu ? Il semble qu’en reprenant pour elle le nom de la noble amazone que Don Garcie tourmentait de sa jalousie, et la faisant torturer par les trahisons et les insultes de Don Juan, Molière ait songé à créer un type de patricienne tragique comme il avait créé dans Sganarelle celui d’un rustre comique. Dans les plaintes éloquentes de cet amour trahi, dans les objurgations désespérées de cette piété résignée, après le sacrifice accompli, retentit la voix des héroïnes cornéliennes, Camille et Pauline. C’est aussi celle des grandes pécheresses contemporaines, Mme de Longueville, Mlle de la Vallière, etc.

On néglige trop peut-être, à ce point de vue, l’étude de ces comédies-ballets qui tiennent une si grande place dans l’œuvre du poète (13 pièces sur 33).